François Dermaut, Rosa – t.02 : Les hommes

Femme libé­rée !

Le récit se déroule dans une Nor­man­die rurale au début du XXe siècle. Rosa a été mariée à Mathieu, un veuf de quinze ans son aîné. Avec lui, elle tient une ferme-auberge. Mais la tuber­cu­lose le rat­trape. Il est cou­ché et l’argent manque pour le faire soi­gner au sana­to­rium. C’est en écou­tant les van­tar­dises d’un groupe d’hommes qui se lancent le défi d’être recon­nus comme le plus viril par une femme qui cou­che­rait avec cha­cun d’eux qu’elle décide d’être l’objet de leur pari. Elle cou­chera avec ceux qui par­ti­ci­pe­ront au concours et dési­gnera le meilleur amant du vil­lage contre un tiers des sommes mises en jeu.
Et le concours commence…

Le tome 2 débute alors que Rosa arrive à l’église pour la messe domi­ni­cale. Le sacris­tain lui barre l’entrée car le conseil parois­sial, informé du pari, l’exclut de la com­mu­nauté chré­tienne. Alors qu’elle retourne chez elle, déses­pé­rée, elle croise Jean-François, le bou­cher. Voyant sa mine décon­fite, il la récon­forte, lui assu­rant qu’elle n’a pas que des enne­mis. Et, parole d’un ancien enfant de cœur, le brave curé est une ordure.
Et l’aide vient d’Émilienne, qui tient une mai­son de passe. Elle arrive avec Hono­rine. Cette der­nière a été cho­quée par la déci­sion d’exclusion. Si Rosa est d’accord, elle a les argu­ments pour convaincre le curé et le richis­sime Séna de faire machine arrière. Elle obtient même que les femmes puissent assis­ter à l’office aux places réser­vées à la famille de Séna, le grand pro­prié­taire ter­rien…
La santé de Mathieu décline. Lors d’une visite de Rosa, accom­pa­gnée de Valine son amie, il pro­fite d’une absence de son épouse pour confier une lettre à lui remettre après son décès. C’est par la poste que Rosa apprend qu’elle est veuve. Elle veut tout arrê­ter, mais…

À cette époque, dans le monde rural, les filles sui­vaient le par­cours qu’on leur tra­çait. Rosa, mariée très jeune, res­pec­tueuse de son mari, accepte la vie qu’on lui a faite, entre obéis­sance et reli­gion. Le déclin de son époux l’amène à prendre des déci­sions et elle se retrouve, en par­tie, maî­tresse de sa vie. Vou­lant soi­gner son mari, elle a l’audace de faire face à un groupe d’hommes du vil­lage, douze indi­vi­dus repré­sen­ta­tifs de la société rurale de l’époque. Entre un pro­prié­taire ter­rien aux ambi­tions élec­tives, des pay­sans exploi­tant des petites fermes, le fac­teur, le métayer et des ouvriers agri­coles, Fran­çois Der­maut com­pose une gale­rie de per­son­nages hauts en cou­leur mais si justes.
Elle va oser prendre son des­tin en main et décou­vrir une réa­lité. Les rodo­mon­tades de ces mes­sieurs masquent des failles plus ou moins pro­fondes, des dif­fi­cul­tés dans leur psy­chisme et des rete­nues inavouables face à une femme déter­mi­née. Elle va, ainsi, prendre conscience de sa force, de l’autorité voire de l’emprise qu’elle peut avoir et prendre sur eux.

Le scé­na­riste s’attache à la psy­cho­lo­gie de ses per­son­nages dont il montre la diver­sité et les fêlures. Il aborde quelques thèmes uni­ver­sels comme la place de la femme dans une société conçue et orga­ni­sée pour les hommes, les pro­blèmes que posent la reli­gion, et sur­tout les reli­gieux, pour l’épanouissement des indi­vi­dus. Il porte un regard atten­tif sur l’amour, l’amour phy­sique et les exi­gences du sexe…
C’est aussi la révé­la­tion d’une autre per­son­na­lité qui se mesure aux contraintes sociales impo­sées par les usages, par les dogmes reli­gieux. Le diable n’est-il pas en elle quand elle prendre enfin du plai­sir lors d’un acte sexuel ? Avec une remar­quable gale­rie de pro­ta­go­nistes que l’auteur prend le temps de poser, d’affiner, avec une intrigue qui sait prendre en compte le cadre d’une période, Fran­çois Der­maut offre un magni­fique dip­tyque d’un grand réalisme.

Le gra­phisme est plus que mar­quant avec des por­traits d’une sai­sis­sante beauté, même pour les plus laids, une res­ti­tu­tion des regards, des sen­ti­ments, des émois et des désar­rois, une ges­tuelle pré­cise et appro­priée. Les cou­leurs directes mêlant aqua­relle et crayons rehausse les émo­tions des pro­ta­go­nistes pour com­po­ser des planches éblouis­santes.
Rosa est un dip­tyque qui doit entrer dans toute bédé­thèque digne de ce nom tant le sujet est traité avec déli­ca­tesse et res­ti­tué de belle manière par un gra­phisme impressionnant.

serge per­raud

Fran­çois Der­maut, Rosa – t.02 : Les hommes, Glé­nat, coll. 24x32, février 2019, 56 p. – 14, 50 €.

 

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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