Le récit se déroule dans une Normandie rurale au début du XXe siècle. Rosa a été mariée à Mathieu, un veuf de quinze ans son aîné. Avec lui, elle tient une ferme-auberge. Mais la tuberculose le rattrape. Il est couché et l’argent manque pour le faire soigner au sanatorium. C’est en écoutant les vantardises d’un groupe d’hommes qui se lancent le défi d’être reconnus comme le plus viril par une femme qui coucherait avec chacun d’eux qu’elle décide d’être l’objet de leur pari. Elle couchera avec ceux qui participeront au concours et désignera le meilleur amant du village contre un tiers des sommes mises en jeu.
Et le concours commence…
Le tome 2 débute alors que Rosa arrive à l’église pour la messe dominicale. Le sacristain lui barre l’entrée car le conseil paroissial, informé du pari, l’exclut de la communauté chrétienne. Alors qu’elle retourne chez elle, désespérée, elle croise Jean-François, le boucher. Voyant sa mine déconfite, il la réconforte, lui assurant qu’elle n’a pas que des ennemis. Et, parole d’un ancien enfant de cœur, le brave curé est une ordure.
Et l’aide vient d’Émilienne, qui tient une maison de passe. Elle arrive avec Honorine. Cette dernière a été choquée par la décision d’exclusion. Si Rosa est d’accord, elle a les arguments pour convaincre le curé et le richissime Séna de faire machine arrière. Elle obtient même que les femmes puissent assister à l’office aux places réservées à la famille de Séna, le grand propriétaire terrien…
La santé de Mathieu décline. Lors d’une visite de Rosa, accompagnée de Valine son amie, il profite d’une absence de son épouse pour confier une lettre à lui remettre après son décès. C’est par la poste que Rosa apprend qu’elle est veuve. Elle veut tout arrêter, mais…
À cette époque, dans le monde rural, les filles suivaient le parcours qu’on leur traçait. Rosa, mariée très jeune, respectueuse de son mari, accepte la vie qu’on lui a faite, entre obéissance et religion. Le déclin de son époux l’amène à prendre des décisions et elle se retrouve, en partie, maîtresse de sa vie. Voulant soigner son mari, elle a l’audace de faire face à un groupe d’hommes du village, douze individus représentatifs de la société rurale de l’époque. Entre un propriétaire terrien aux ambitions électives, des paysans exploitant des petites fermes, le facteur, le métayer et des ouvriers agricoles, François Dermaut compose une galerie de personnages hauts en couleur mais si justes.
Elle va oser prendre son destin en main et découvrir une réalité. Les rodomontades de ces messieurs masquent des failles plus ou moins profondes, des difficultés dans leur psychisme et des retenues inavouables face à une femme déterminée. Elle va, ainsi, prendre conscience de sa force, de l’autorité voire de l’emprise qu’elle peut avoir et prendre sur eux.
Le scénariste s’attache à la psychologie de ses personnages dont il montre la diversité et les fêlures. Il aborde quelques thèmes universels comme la place de la femme dans une société conçue et organisée pour les hommes, les problèmes que posent la religion, et surtout les religieux, pour l’épanouissement des individus. Il porte un regard attentif sur l’amour, l’amour physique et les exigences du sexe…
C’est aussi la révélation d’une autre personnalité qui se mesure aux contraintes sociales imposées par les usages, par les dogmes religieux. Le diable n’est-il pas en elle quand elle prendre enfin du plaisir lors d’un acte sexuel ? Avec une remarquable galerie de protagonistes que l’auteur prend le temps de poser, d’affiner, avec une intrigue qui sait prendre en compte le cadre d’une période, François Dermaut offre un magnifique diptyque d’un grand réalisme.
Le graphisme est plus que marquant avec des portraits d’une saisissante beauté, même pour les plus laids, une restitution des regards, des sentiments, des émois et des désarrois, une gestuelle précise et appropriée. Les couleurs directes mêlant aquarelle et crayons rehausse les émotions des protagonistes pour composer des planches éblouissantes.
Rosa est un diptyque qui doit entrer dans toute bédéthèque digne de ce nom tant le sujet est traité avec délicatesse et restitué de belle manière par un graphisme impressionnant.
serge perraud
François Dermaut, Rosa – t.02 : Les hommes, Glénat, coll. 24x32, février 2019, 56 p. – 14, 50 €.