Le mentir vrai de Philippe Sollers
Philippe Sollers se transforme en vieillard indigne. Du côté de l’adjectif, ce n’est pas d’aujourd’hui mais après ses (superbes) lettres d’amour à Dominique Rollin, le voici à nouveau au sommet de sa forme et l’âge ne fait rien à l’affaire — au contraire.
Peu d’auteurs auront marqué la littérature comme ce maître de l’humour - forme suprême de l’intelligence et de la pudeur des sentiments.
On le dit exhibitionniste mais c’est tout le contraire. Sollers joue avec l’autobiographie comme avec le lecteur. Et c’est là la grande différence entre un esthète digne de La littérature et ceux qui ne voient en elle qu’un utilitarisme et ce, sous divers prétextes (d’Angot à Makine).
Le nouveau ne déroge pas à la règle. Certes, il y a “du” biographique. Enfin presque. “Le nouveau” est le nom du bateau de son arrière grand-père amoureux devant l’éternel et qui alla retrouver sa belle sur son esquif du côté de l’Irlande et la perfide Albion. Les deux sont parmi les quatre héros majeurs du roman.
Mais, remontant sur “Le Nouveau”, apparaît un autre : le capitaine William Shakespeare lui-même, Sollers à ses côtés tire des bords, traverse la matière romanesque de l’île de Ré à Shangai avec bien sûr un détour par Venise. Même si Bordeaux reste le port d’attache du navire et de l’histoire.
Mais Sollers n’est pas un navigateur solitaire : avec lui — outre le père d’Hamlet — Fitzgerald (Ella), Monk, Mozart (forcément), Celine, Heidegger, possibles marins d’eau douce mais qui tiennent fort le bastingage des arts et de la littérature.
Sollers, en fieffé luron, ne s’arrête pas en un si bon parcours. La fiction ne se limite pas aux dérives de l’imaginaire. Et plutôt que de cirer les pompes aux roitelets de saison, le voici gilet jaune ou plutôt rouge à sa façon. Et de justifier ce que nous prîmes pour ses erreurs d’antan.
On se souvient du numéro spécial de “Tel Quel” sur la Chine de Mao où il embarque l’intelligentzia de l’époque (Barthes en tête).
Mais qu’à cela ne tienne. Nous avions tout faux. Aux yeux de l’apocalypse climatique, de la féodalité mondialisée capitaliste comme face aux tristes sires que furent les Staline et Hitler, Mao est un quasi saint. Le pire c’est que nous sommes prêt à croire l’enchanteur toujours jeune et en rien pourrissant (en référence au titre d’Apollinaire).
Et l’auteur de deviser : J’ai devant moi l’ancien petit livre rouge de Mao, édité en français en avril 1968. II fallait être drôlement allumé, ou partisan d’un canular mondial, pour soutenir les propositions suivantes : “S’instruire sans jamais s’estimer satisfait, et enseigner sans jamais se lasser, telle doit être notre attitude”. »
Sollers l’a fait, l’assume, n’avance pas masqué lorsqu’il s’agit des idées. C’est ce qui fait sa force : il ne confond jamais — même dans l’érotisme — ce qu’il dit et ce qu’il fait. Côté esprit c’est une autre affaire.
Et c’est pourquoi il faut savourer ce nouveau livre du séducteur : l’humour en devient l’exercice de raison.
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, Le Nouveau, roman, coll. “Blanche”, éditions Gallimard, Paris, 2019, 144 p.