Cay Rademacher, La trilogie hambourgeoise

Dans l’Après Seconde Guerre mon­diale, en Allemagne…

Cette tri­lo­gie relate des enquêtes menées par l’Obe­rins­pek­tor (Ins­pec­teur prin­ci­pal) Frank Stave dans Ham­bourg en ruines dans les années 1947–1948. Si, pour L’Assassin des ruines et L’Orphelin des docks, il tra­vaille au bureau des Homi­cides de la police cri­mi­nelle de la ville, lors de son enquête rela­tée dans Le Faus­saire de Ham­bourg, il est à L’Office de lutte contre le mar­ché noir.
Frank Stave est un homme mar­qué phy­si­que­ment et mora­le­ment. Il a été blessé à la jambe gauche lors de l’avalanche de feu de juillet 1943. Depuis, il boi­tille, cachant de son mieux de cette infir­mité. Dans ce bom­bar­de­ment, il a perdu son épouse. Karl, son fils, avait inté­gré les Jeu­nesses hit­lé­riennes. Puis, il s’est engagé pour com­battre sur le front de l’Est. Il a été fait pri­son­nier par les Russes, envoyé en Sibé­rie. Frank est resté long­temps sans nou­velles de ce fils unique. Il tente de se recons­truire avec Anna von Veckin­hau­sen, une jeune femme d’origine aris­to­cra­tique dont il ignore tout de son passé. Elle sur­vit en fouillant les ruines pour revendre au mar­ché noir des pièces qu’elle res­taure avec les moyens du bord. Au fil du temps, son fils réap­pa­raît ce qui fra­gi­lise la liai­son, Karl pen­sait retrou­ver sa mère aux côtés de son père.

L’Assas­sin des ruines se déroule pen­dant l’hiver gla­cial de 1947. Les habi­tants tentent de sur­vivre dans une ville où tout manque, même l’indispensable. Le char­bon fait défaut, les ali­ments sont ration­nés et le mar­ché noir est flo­ris­sant. Dans cette ville en ruines, occu­pée par les Bri­tan­niques, les loge­ments ont été détruits et la popu­la­tion amé­nage des trous de cave, vit, dans une grande pro­mis­cuité, dans des bun­kers ou des baraques.
C’est dans ce contexte que le cadavre nu d’une jeune fille est retrouvé parmi les décombres sans aucun indice sur son iden­tité. D’autres morts sans iden­tité sont vite décou­verts. Frank Stave est chargé d’une enquête labo­rieuse sous l’escorte de James Mac­Do­nald, un Écos­sais, lieu­te­nant dans l’armée d’occupation. Celui-ci est l’amant de la secré­taire de Frank.

L’action de L’Orphelin des docks débute sur les bords de l’Elbe, dans les ate­liers du chan­tier naval Blohm & Voss. Un jeune gar­çon est retrouvé assas­siné dans un han­gar désaf­fecté. Son corps repose contre une énorme bombe qui n’a pas explosé. Com­ment et pour­quoi le corps de ce gamin a-t-il été trans­porté dans ce lieu. Qui est ce gosse ? Pour­quoi a-t-il été tué ? Frank est amené à côtoyer le milieu de ceux qui s’occupent des orphe­lins, des enfants seuls, de ceux qui venant de l’Est se nomment les enfants-loups…

Le Faus­saire de Ham­bourg se passe en juin 1948. C’est parce qu’il a été gra­ve­ment blessé lors d’une arres­ta­tion, parce qu’il plonge corps et âme dans ses enquêtes négli­geant de s’occuper de ceux qu’il aime que Frank décide de deman­der sa muta­tion pour un autre ser­vice. Il choi­sit l’Office de lutte contre le mar­ché noir. Il est chargé d’une affaire rela­tive à des œuvres d’art retrou­vées dans des décombres, près des restes d’un cadavre.

Avec cette tri­lo­gie, le roman­cier fait œuvre roma­nesque, intro­duit dans ses intrigues nombre d’éléments de fic­tion, mais endosse éga­le­ment les habits d’un his­to­rien. Il base ses récits sur des faits authen­tiques. Ainsi, dans le pre­mier tome, l’assassin a bien com­mis les crimes rela­tés dans le roman, mais n’a jamais été arrêté. Les enfants livrés à eux-mêmes dans le Ham­bourg de l’après-guerre étaient légion. Des ser­vices sociaux esti­maient qu’ils étaient près de qua­rante mille en 1947. Des bombes fabri­quées par les Alliés étaient réglées pour explo­ser plus tard, gênant les tra­vaux de déblaie­ment.
Le troi­sième opus s’appuie sur la volonté des Alliés de se débar­ras­ser du Reichs­mark pour lut­ter contre le mar­ché noir et pour recréer une éco­no­mie plus saine. C’est la jour­née his­to­rique du 20 juin 1948 où chaque Alle­mand a reçu qua­rante Marks, la nou­velle mon­naie. Des œuvres d’art ont été cachées pour échap­per à la des­truc­tion par les nazis. Il en était ainsi de celles créées sous la Répu­blique de Wei­mar qui ont été consi­dé­rées comme un art dégénéré.

L’auteur cite éga­le­ment les sen­tences poli­tiques prises par les Anglais, comme celle rela­tive au déman­tè­le­ment des ins­tal­la­tions du chan­tier naval de Blohm & Voss, déci­sion prise uni­que­ment pour éli­mi­ner un concur­rent poten­tiel des chan­tiers de Liver­pool et de Bel­fast.
Cette posi­tion relève de la même stra­té­gie que lorsque Chur­chill a ordonné le bom­bar­de­ment de la flotte fran­çaise à Mers El-Kébir en juillet 1940.

Le roman­cier ne se borne pas à détailler les enquêtes de son héros, ses recherches, ses intui­tions, ses prises de risques, mais plonge le lec­teur, dès l’introduction, dans l’ambiance étouf­fante de cette période. Il décrit avec réa­lisme le quo­ti­dien des popu­la­tions quand tout manque. Il raconte la lutte pour se nour­rir, se loger, se chauf­fer, les tra­fics, le mar­ché noir, les voi­tures de police en bout de course, la débrouillar­dise, les chocs sen­ti­men­taux, les rela­tions dif­fi­ciles après les trau­ma­tismes, les retours déce­vants ou catas­tro­phiques, les enfants et les veuves…

Chaque enquête est pas­sion­nante pour ces recherches avec des moyens limi­tés et cette plon­gée très réa­liste, très docu­men­tée, sur une période his­to­rique bien méconnue.

serge per­raud

Cay Rade­ma­cher, La tri­lo­gie ham­bour­geoise (tra­duite de l’allemand par Georges Sturm) :

- L’assassin des ruines, Le Masque poche, février 2018, 464 p. – 8,00€,
– L’Orphelin des docks, 
Le Masque poche, jan­vier 2019, 480 p. – 8,00€,
–  Le Faus­saire de Ham­bourg, Le Masque Grand for­mat, jan­vier 2019, 336 p. – 20, 90 €.

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