Marina Tsvetaeva, Grands poèmes

Tempêtes de la vie et du corps

Avec ce volume bilingue de plus de 1100 pages des 21 Grands poèmes par­fois très longs (l’un d’entre eux fait plus de 100 pages) se ter­mine l’édition com­plète des œuvres de Marina Tsve­taeva dont  la richesse fut sou­vent “un pré­sent de larmes”. Elles imprègnent la poé­sie qui voci­fère  au cœur du plus char­nel sans jamais s’y com­plaire. Car, pour tou­cher notre propre bles­sure, l’auteure passe non par des faits mais par le lan­gage. En sac­cades et spasmes il troue la croûte de l’histoire afin de lais­ser appa­raître ce qui se trame (ou se déchire) der­rière.
Tsve­taeva entraîne la poé­sie loin du pur psy­cho­lo­gisme de même que d’une assise réa­liste sans pour autant que s’effacent les “choses vues” et les dou­leurs du monde. Se retrouvent dans ce volume les amours et les ombres tuté­laires de la femme tour­men­tée. Au pre­mier rang Rilke et Pas­ter­nak avec lequel est entre­tenu un échange épis­to­laire  de feu jusqu’àux rares ren­contres décep­tives et si long­temps repous­sées par celle qui demeura avec lui en fidé­lité d’amour idéa­lisé qui l’habita sans cesse dans sa vie de femme partagée.

Mais réap­pa­rîit aussi la figure admi­rée dans sa jeu­nesse : le poète Ellis, dit « le Magi­cien » — le pre­mier long poème porte d’ailleurs ce titre hom­mage. Dès cette époque, la poé­sie de Tsve­taeva est une force qui va. Tout est vitesse, inten­sité. L’artiste fait preuve d’une dévo­ra­tion phy­sique et mys­tique qui l’habite et peu à peu va avoir rai­son de sa rai­son.
Mêlant diverses influences, l’imaginaire enflammé de la poé­tesse fait feu de tout bois pour inven­ter divers types de dérives amou­reuses. Le mythe et la mys­tique tiennent la dra­gée haute à la force de l’éros. Un rien (c’est peu dire) par­fois ogresse, l’auteur reste auto­ri­taire et plain­tive. Il est vrai qu’elle avait bien des rai­sons de se plaindre celle dont l’amour signi­fie autant l’union que son contraire dans cette lutte per­pé­tuelle entre le corps et l’âme dont elle ne put venir à bout et que sou­ligne le Poème de la fin qui clô­ture une idylle pra­guoise passionnée.

L’amour chez elle est autant fusion­nel, phy­sique que tota­le­ment idéa­lisé. Si bien que la poé­tesse ne peut qu’aller à la catas­trophe qu’elle pro­gramme même si elle en souffre dans cette qua­dra­ture d’un cercle qui finit en corde où elle se pendit.Certes, elle connut de nom­breuses autres amours où elle fit preuve d’une sorte de folie intran­si­geante au sein d’une vie plus que dure et où l’angélisme fai­sait figure d’intrus. Mais la grande amou­reuse, quoique jamais en posi­tion de fai­blesse ou de sou­mis­sion, n’aura pu trou­ver d’amants à sa hau­teur.
Marina Tsve­taeva dans ce mael­strom aura connu la per­sé­cu­tion, l’exil, la misère. Même ses poèmes poli­tiques et enga­gés sont trans­cen­dés par le mys­ti­cisme. Comme les pauvres qu’elle croise dans son exil pari­sien, elle connaît “Peu de chair – que du cha­grin.” La misère reste sa plus sûre amante et le lyrisme est lourd de larmes au milieu des tem­pêtes de la vie et du corps.

Aux anti­podes de la poé­sie du temps, l’œuvre reste néan­moins pas­sion­née et pas­sion­nante. Preuve que les chants déses­pé­rés sont sans doute les plus beaux car ils disent tout des abîmes.
La poé­tesse nous en fait éprou­ver plus que les bords : elle nous plonge dedans.

jean-paul gavard-perret

Marina Tsve­taeva,

- Grands poèmes, tra­duit du russe, pré­facé et annoté par Véro­nique Lossky, avant-propos Lev Mnou­khine, post­faces Hélène Henri, Caro­line Béren­ger et Elena Kor­kina, édi­tion bilingue, Édi­tions des Syrtes, 2018, 1135 p. -  29, 00 €,

- Poèmes, Mai­son Dagoit, Rouen, 2018 — 5,00 €.

1 Comment

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One Response to Marina Tsvetaeva, Grands poèmes

  1. Villeneuve

    Radio­sco­pie aussi vibrante que les grands poèmes .

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