Sopro (Tiago Rodrigues)
Souffler, c’est jouer : murmurer à l’oreille des vivants
Le plateau est recouvert de parquet entre les lames duquel poussent quelques herbes, un arbuste – comme lorsque dans un bâtiment délaissé, la nature réinvestit les lieux. Un divan rouge trône sur la gauche de la scène. Le vent qu’on entend souffler meut les tentures qui entourent le décor. Une souffleuse, qui tient ce qu’on comprend rapidement être le texte de la pièce, attend sans impatience ni indolence. Lorsqu’entrent les comédiens, elle prend petit à petit sa place et orchestre le dialogue entre la comédienne qui l’incarne et l’acteur qui joue le metteur en scène désirant ardemment consacrer une pièce à sa vie de souffleuse.
D’abord, elle refuse, au prétexte de sa nature, faite pour l’ombre, et de son incapacité à jouer – elle, déjà là pour de vrai, vêtue de noir, au second plan en même temps qu’au centre de l’action. Présente sur scène, elle inspire le texte dans tous les sens du terme : en le prononçant tout bas à l’attention des acteurs, leur donnant par des gestes quelques indications scéniques, exhibant ainsi ce dont la pièce parle et en en ayant fait naître l’idée. La représentation est l’occasion de revisiter des grandes œuvres ; des passages de Sophocle, de Racine, de Tchekhov… où l’impossibilité de parler met en lumière, a contrario, le caractère précieux de l’activité des comédiens. Les événements vécus par les protagonistes, le propriétaire du théâtre et les comédiens, sont joués et vécus à la manière des acteurs.
Le mélange du jeu et de l’action conduit à un subtil brouillage des repères. On perçoit quelque influence des TG Stan à travers les possibilités d’échanges de rôle, de reprise des mêmes propos, de désignation du jeu sur scène. À terme, on assiste à une profession de foi : l’investigation de l’espace du silence exprime la lutte permanente contre la mort. Dans le regard du metteur en scène, la figure de la souffleuse apparaît dans toute son épaisseur : intervenant lorsque le locuteur choit de son discours, elle est en même temps la déesse qui a le pouvoir de ressusciter le verbe par une parole en creux.
Comme le vent omniprésent sans qu’on ne le sente sinon par exception, la souffleuse vient mouvoir les mots pour ébranler un peu les comédiens de l’intérieur. Le metteur en scène nous fait voir les didascalies que mime la silhouette de la souffleuse ; il met en relief l’essence du travail des gens de théâtre, qui est de murmurer à l’oreille des vivants. Un spectacle-paradoxe, une construction élaborée, qui conserve la fragilité de l’intimité, pour constituer une représentation tendre et spirituelle, aux accents méditatifs.
christophe giolito & manon pouliot
Sopro
Tiago Rodrigues
Teatro Nacional D. Maria II
Spectacle en portugais surtitré en français
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Avec Isabel Abreu, Beatriz Bràs, Sofia Dias, Vitor Roriz, Joâo Pedro Vaz, Cristina Vidal.
Spectacle de Tiago Rodrigues / Teatro Nacional D. Maria II. En portugais surtitré en français. 1h45
Scénographie et lumière Thomas Walgrave ; costumes Aldina Jesus ; son Pedro Costa ; assistant à la mise en scène Catarina Rôlo Salgueiro ; texte portugais traduit en français Thomas Resendes.
Du 12 novembre au 8 décembre 2018 au Théâtre de la Bastille
Direction Jean-Marie Hordé
76 rue de la Roquette 75011 Paris 01 43 57 42 14
À 21h relâche les 15, 16, 17, 18, 24, 25 nov. et le 2 déc.
http://www.theatre-bastille.com/saison-17-18/les-spectacles/sopro
Production Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne)
Coproduction ExtraPôle-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Festival d’Avignon, Théâtre de la Bastille, La Criée-Théâtre national de Marseille, Le Parvis-Scène nationale Tarbes-Pyrénées, Festival Terres de Paroles Seine-Maritime-Normandie, théâtre Garonne Scène européenne-Toulouse et Teatro Viriato (Viseu)
Avec le soutien de l’ONDA-Office national de diffusion artistique.
Spectacle présenté en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris
Tournée 2018 – 2019 : les 12 et 13 octobre à Aix-en-Provence – Le Bois de l’Aune ; les 23 et 24 octobre à Perpignan – Théâtre de l’Archipel ; le 9 novembre à Chelles – Théâtre de Chelles ; le 25 janvier à Cavaillon – La Garance ; du 28 février au 1ermars à Meyrin – Forum de Meyrin ; du 5 au 8 mars au CDN Besançon Franche-Comté ; les 11 et 12 mars à Yverdon-les-Bains – Théâtre Benno Besson ; le 15 mars MA Scène nationale à Montbéliard ; le 3 mai à Guimarâes – Centre Culturel Vila Flôr ; du 16 au 19 mai Théâtre Vidy-Lausanne à Lausanne ; les 24 et 25 mai au Trident à Cherbourg ; du 30 mai au 2 juin à Madrid – Teatros del Canal ; du 13 au 22 juin à Porto – Teatro Nacional Sào Joâo.