Metin Arditi, Carnaval noir

Que de crimes en ton nom !

C’est à Venise, en jan­vier 2016, que débute le récit avec l’assassinat de Dona­tella. Cette jeune fille, qui tra­vaille sur une thèse, découvre des liens entre la Scuola Grande del San Sepol­cro, les tra­giques évé­ne­ments de février 1575 et la révo­lu­tion coper­ni­cienne, avec les fon­de­ments de l’héliocentrisme.
En juin, dans le can­ton de Vaud, au siège de la Fon­da­tion des pèle­rins ibé­riques, Bar­to­lo­meo San Bene­detto harangue une foule de volon­taires venus défendre le monde libre, empê­cher la des­truc­tion de la civi­li­sa­tion occi­den­tale. Il est assisté du père Blaise et d’Arturo Apollo, un vice-champion olym­pique de boxe. Que les héré­tiques soient éli­mi­nés est la devise de la fon­da­tion, devise vieille de cinq siècles, reprise de la Congre­ga­zione.
À Genève, Béné­dict Hugues, pro­fes­seur de latin médié­val à la faculté de lettres est muté à Fri­bourg. Il a un dîner d’anniversaire avec son ex-épouse et son fils, repas qui va très mal se pas­ser. Face à cette adver­sité, il se console en pen­sant au livre qu’il a acheté aux enchères, un livre raris­sime. Sur la reliure de celui-ci, il remarque une bour­sou­flure. Avec mille pré­cau­tions, il dégage un feuillet daté de décembre 1574, fai­sant réfé­rence à la Congré­ga­tion des pèle­rins ibé­riques, feuillet volon­tai­re­ment caché par le des­ti­na­taire. Com­mence alors, pour Béné­dict des recherches périlleuses pour com­prendre le sens de ce mes­sage adressé au car­di­nal Val­san­gia­como quand il est ques­tion de la révo­lu­tion coper­ni­cienne, de l’hérésie du Christ à six doigts et d’un atten­tat des­tiné à faire bas­cu­ler le monde dans le bon sens, enfin celui des concep­teurs de l’assaut… Et ces évé­ne­ments ne sont-ils pas en train de se reproduire ?

Metin Arditi signe un récit mul­tiple en alter­nance sur deux époques, l’une ayant des réso­nances sur l’autre. À tra­vers la décou­verte de lettres, de docu­ments, des per­son­nages tentent de recons­ti­tuer la chro­no­lo­gie des évé­ne­ments dra­ma­tiques de février 1575, d’en com­prendre les causes et la fina­lité. Ces actes sont-ils en lien avec les meurtres d’aujourd’hui qui frappent ceux qui approchent ce qui a consti­tué le Car­na­val noir ? Le roman­cier com­pose une his­toire dans l’Histoire, fai­sant un paral­lèle entre les deux époques avec en toile de fond, une reli­gion mono­théiste en proie à de mul­tiples ques­tions et la remise en cause d’un mode de société.
Pour faire vivre cette intrigue autour d’un anti­hé­ros atta­chant, l’auteur com­pose une impor­tante gale­rie de per­son­nages aux pro­fils étu­diés, fouillés, brosse de magni­fiques por­traits de femmes, ana­lyse des reli­gieux avides de pou­voir, ose des rap­pro­che­ments impro­bables de cri­mi­nels. Il dépeint des situa­tions cruelles, tant phy­siques que psy­cho­lo­giques, avec la volonté de mas­quer tous les sen­ti­ments, la dureté d’un père, la volonté d’un enfant de vou­loir lui faire hon­neur pen­sant que si celui-ci reste si dis­tant c’est qu’il n’en fait pas assez. Il évoque la situa­tion d’une domes­tique sou­mise aux caprices d’un employeur qui veut gar­der une façade irré­pro­chable, les jeux ban­caires, les conflits d’intérêts… Il dépeint des membres de la Curie bien loin de la fameuse maxime qu’ils reven­diquent dans leur pseudo apos­to­lat : “Aimez-vous les uns les autres !”. Qui, d’ailleurs, a inventé cette for­mule et pour ser­vir quel objectif ?

Le roman­cier entre­tient avec soin la ten­sion du récit de façon sub­tile, jouant avec tant  les sen­ti­ments, l’évolution des recherches et les décou­vertes qu’elles amènent que sur une suc­ces­sion d’actions vio­lentes et mus­clées, bien que celles-ci soient pré­sentes au moment oppor­tun. Mais, en toile de fond, Metin Arditi pose des ques­tions fon­da­men­tales, d’une actua­lité brû­lante, qui trouvent une forme de réponse dans les mou­ve­ments natio­na­listes en émer­gence.
Éru­dit, four­millant de détails, de pré­ci­sions sur nombre de sujets tant reli­gieux qu’historiques, tant lit­té­raires que pic­tu­raux, ce livre au sujet attrac­tif se lit avec passion.

serge per­raud

Metin Arditi, Car­na­val noir, Gras­set, août 2018, 400 p. – 22,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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