J’ai abordé cette volumineuse biographie d’Elsa Morante avec des a priori favorables et un vif appétit, m’attendant à y trouver ce qui manquait à l’ouvrage de Lily Tuck, Woman of Rome : une ample documentation, de la finesse dans l’étude biographique et une réflexion approfondie sur la romancière.
Du point de vue de la documentation, le livre de Ceccatty est globalement satisfaisant, offrant maints inédits et des extraits éclairants de la correspondance de Morante, notamment avec Alberto Moravia et avec Visconti. Les témoignages que l’auteur a recueillis sont appréciables aussi. En revanche, dès le début du livre ou presque, le lecteur observe que Ceccatty traite Morante avec une sorte de condescendance mêlée d’antipathie, utilisant à son sujet des termes comme “mythomanie“ (p. 42) ou “bovarysme“ (p. 93) et – ce qui est bien plus grave – laissant entendre que L’Ile d’Arturo serait non seulement “son plus grand livre“ (p. 107), mais pire, “son unique véritable grand roman“ (p. 156), ce qui revient à la fois à réduire l’envergure de la romancière à celle d’un auteur dont la plupart des œuvres seraient ratées, et à commettre une erreur de jugement comparable à celle d’un critique qui citerait Enfance, adolescence, jeunesse à titre d’unique chef-d’œuvre de Tolstoï. (Certes, Guerre et paix et Anna Karénine ont des imperfections – tout comme Mensonge et sortilège et La Storia – , mais est-ce que cela les empêche d’être des chefs-d’œuvre indiscutables ?)
A cela s’ajoute la thèse bizarre de Ceccatty selon laquelle l’œuvre de Morante serait assimilable au “néoclassicisme“, tout comme celle de Marguerite Yourcenar, alors que la modernité de l’Italienne a été explicitée et mise en valeur par de nombreux commentateurs. L’auteur ne s’aperçoit même pas qu’il se contredit lorsqu’il explique (à juste titre, p. 171) que la fiction en tant que telle fait partie de l’intrigue de Mensonge et sortilège, ce qui est une caractéristique moderne, voire postmoderne.
Pour ce qui concerne l’aspect proprement biographique du livre, l’antipathie que Morante inspire à Ceccatty semble l’empêcher de faire autre chose que de la psychanalyse de bazar à son sujet, prétendant notamment que Bill Morrow (le dernier grand amour de la romancière) serait l’enfant symbolique de Morante et de Moravia. (Par ailleurs, le biographe a tendance à voir l’inceste partout : à lire son résumé de L’Ile d’Arturo, on pourrait croire que le protagoniste était charnellement amoureux de son père.)
A propos de Bill Morrow, la biographie comporte une autre conviction, non étayée, selon laquelle il n’aurait jamais eu de rapports autres que platoniques avec Morante – on se demande d’où vient cette certitude chez Ceccatty, quand il admet que le jeune homme était bisexuel. (Lily Tuck, elle, considère que Morante et Morrow étaient amants.)
En somme, ce livre empreint de mépris pour son sujet est très décevant, voire exaspérant pour un lecteur qui perçoit Elsa Morante avec le respect et l’admiration qu’elle mérite.
agathe de lastyns
René de Ceccatty, Elsa Morante : une vie pour la littérature, Tallandier, mars 2018, 432 p. – 21,90 €.