Rachel Labastie, L’Apparence des Choses Chapitre VI : Les forces (Exposition)

La force des choses : Rachel Labastie

Une nou­velle sai­son de « L’apparence des choses Chap VI » per­met entre autres de pré­sen­ter les « forces » des céra­miques, des­sins et ins­tal­la­tions de Rachel Labas­tie dans les appar­te­ments de l’ancienne Banque de France. Il existe là tout un jeu d’action de puis­sances “occultes” (ou presque) qui se ren­forcent ou se neu­tra­lisent. L’artiste trans­forme l’espace, les « corps » et les « esprits » à tra­vers l’argile brut, la céra­mique, le verre, le marbre, le bois dans des scé­na­rios où se mixent l’indicible (feu) et le visible en une sorte de sor­cel­le­rie évo­ca­toire. Elle trans­forme le monde des « objets » en diverses oppo­si­tions. Liberté et enfer­me­ment, envol et chute, vio­lence et fra­gi­lité créent des états de han­tise car nous sommes tou­jours dans une attente entre équi­libre et dés­équi­libre au sein de scé­na­rios où les chan­ge­ments mêlent résis­tance et flui­dité.
Ce tra­vail oblige à une révi­sion per­cep­tive. Et ce, au sein de tout un sys­tème de pos­sibles par des trans­for­ma­tions où le corps (même s’il est absent) et les matières sont en jeu et en ten­sion. L’artiste par­fois les sculpte (à par­tir d’une boue molle qui sèche)à mains nues, avec coudes et genoux afin que les pièces se dis­persent ou se déploient et se concentrent. Il existe autant des enli­se­ments que des gestes d’hospitalité.

Le pro­jet est ambi­tieux, entre de « belles échap­pées » comme au sein de « Caisses » ou d’ « Entraves ». Les direc­tions à suivre ne sont jamais sûres là où les objets « traitent » l’espace au moyen d’entraves, de « restes », d’éclatements, sangles, etc. Existent tou­jours des pas de côté en des rituels qu’on pour­rait prendre pour cha­ma­niques. En de telles struc­tures les ten­sions jaillissent afin de se trans­for­mer en appel et entraides et récep­tions. Dans les ins­tal­la­tions se suc­cèdent des sortes d’évolution là où tout est à la fois sta­tue et aussi objet de construc­tion.
La démarche a pour objec­tif de repo­ser la ques­tion des pers­pec­tives de l’art et sa repré­sen­ta­tion, de cas­ser des codes pour offrir d’autres struc­tures moins sta­tu­taires et esthé­tiques au sens clas­sique du terme.

En pré­lude, il existe bien sûr tout un tra­vail d’analyse qui demande d’abord de la désar­ti­cu­la­tion et de la pen­sée pour que l’expérience devienne fluide et perde tout aspect « usine à gaz ». L’artiste cherche moins le sin­gu­lier que le neuf. Elle s’attache plus à géné­rer l’espace qu’à une recherche pure­ment for­melle. La com­pré­hen­sion est là pour ouvrir le futur et offrir par divers types et plans d’expérimentation un tra­vail sur la cuis­son, les cou­leurs, le dépe­çage ou le mode­lage.
L’ensemble ramène à l’origine de l’art et des civi­li­sa­tions pre­mières. Un tel tra­vail per­met de repar­tir plus fort, loin des cloi­son­ne­ments et des cocons là où jaillissent des haches, des outils, des bottes (détour­nées de leur fonc­tion pre­mière) en divers types d’hérésies afin que les dik­tats for­ma­listes capotent. L’artiste trans­forme jusqu’aux don­nées mini­ma­listes et les décom­po­si­tions de Tony Smith ou d’Eva Hesse à tra­vers des implants. Ils créent de la sou­plesse dans le rigide.

Mais Rachel Labas­tie ne se contente pas de créer des formes « impures ». Elle trans­forme l’espace là où les notions de sculp­ture et la pein­ture « s’absentent » pour « expan­ser » l’espace de manière « floue » ou pri­maire selon des rituels qui tiennent autant de l’art que de l’artisanat. De grandes roues en osier rap­pellent les racines de l’artiste (une de ses grands-mères était une yéniche, une ancienne nomade séden­ta­ri­sée).
L’artiste invente des rituels qui donnent toute liberté à l’imaginaire dans ses rap­ports aux objets et aux espaces. Les gestes les plus simples rejoignent l’alchimie en sup­pri­mant dans l’art l’aspect féti­chi­sa­tion. Sur­git une vision sou­ter­raine, l’appel à de nou­veaux col­lec­tifs, une archéo­lo­gie du pré­sent au sein de traces oubliées ou dis­pa­rues que l’artiste ranime en conteuse visuelle. Elle ne fige rien. Elle ouvre des hypo­thèses contre la vio­lence du monde et ses uni­ver­saux et en appelle à des liber­tés sous forme de pro­po­si­tions et non de clés.

jean-paul gavard-perret

Rachel Labas­tie,  L’Apparence des Choses Cha­pitre VI : Les forces, La Banque, Centre de pro­duc­tion et de dif­fu­sion en arts visuels, Béthune-Bruay, du 17 mars au 15 juillet 2018

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