Samuel Beckett, Lettres IV, 1966–1989

L’ homme qui marche

L’humble caval­cade des der­nières lettres de Beckett est d’une émo­tion rare. Emo­tion bien sûr conte­nue et à décryp­ter.  Avant que Beckett, « entouré par des femmes, attende la mort en regar­dant la télé­vi­sion »  (Jacques Kober). Il existe néan­moins dans ses lettres l’humour, la force, la civi­lité de l’auteur non seule­ment immense mais atta­chant. Dans le début de ce qua­trième cor­pus, Beckett est en proie aux affres de la « gloire » qui le per­cute. Cer­tains en seraient ivres.
C’est tout juste s’il s’achètera une petite villa à Ussy. Des cam­brio­leurs vien­dront la visi­ter mais en « ratant » tout – entre autres les sta­tues de Giacometti.

Ensuite, Beckett doit pen­ser pen­dant qu’il n’est pas tout à fait mort à son héri­tage et modu­ler l’attention des sages (ou non) qui gra­vitent autour de son œuvre. Il doit par­fois se battre contre « les lou­fiats de la télé­vi­sion » mais ce ne sont pas les seuls. Cela n’empêche pas l’auteur d’aller encore par­fois nager en Sar­daigne. Et Beckett reste tou­jours atten­tif aux autres « avec amour et cha­grin » selon les cas. Tou­te­fois, de gré ou de force, la vie avance et la fin se des­sine…
Si bien qu’en 1973 l’auteur se sent déjà « mort à moi­tié » et que l’œuvre suit son cours « moi­tié bien, moi­tié mal ». Que deman­der de plus ? Il y a encore des bou­teilles de whisky mais de plus en plus de mutisme : « je deviens muet » écrit-il à Alan Schnei­der en 1980.

L’œuvre et la vie s’éteignent  peu à peu : « Tou­jours ici avec les crou­lants, on dirait des fois que c’est pour de bon ». Beckett ne se trompe pas. Entres « sur­sauts » et « sou­bre­sauts », la vie s’achève  : « je crains d’être irré­pa­rable » écrit il en août 1989 : il a vu juste. La boucle est bou­clée.  Mais reste jusqu’au bout cette musique inhé­rente au verbe de Beckett.
Cette musique venue de par­tout et de nulle part ou celle du silence qui est ce que l’œuvre aura pro­duit de plus intense sur ce fond de mal­heur mais dont l’auteur n’aura jamais fait un fro­mage même s’il jus­ti­fie l’œuvre et sa nécessité.

jean-paul gavard –perret

Samuel Beckett, Lettres IV, 1966–1989 , tra­duit de l’anglais par Georges Kahn, Gal­li­mard, Paris, 2018, 952 p. Paru­tion le 26 avril 2018.

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