L’humble cavalcade des dernières lettres de Beckett est d’une émotion rare. Emotion bien sûr contenue et à décrypter. Avant que Beckett, « entouré par des femmes, attende la mort en regardant la télévision » (Jacques Kober). Il existe néanmoins dans ses lettres l’humour, la force, la civilité de l’auteur non seulement immense mais attachant. Dans le début de ce quatrième corpus, Beckett est en proie aux affres de la « gloire » qui le percute. Certains en seraient ivres.
C’est tout juste s’il s’achètera une petite villa à Ussy. Des cambrioleurs viendront la visiter mais en « ratant » tout – entre autres les statues de Giacometti.
Ensuite, Beckett doit penser pendant qu’il n’est pas tout à fait mort à son héritage et moduler l’attention des sages (ou non) qui gravitent autour de son œuvre. Il doit parfois se battre contre « les loufiats de la télévision » mais ce ne sont pas les seuls. Cela n’empêche pas l’auteur d’aller encore parfois nager en Sardaigne. Et Beckett reste toujours attentif aux autres « avec amour et chagrin » selon les cas. Toutefois, de gré ou de force, la vie avance et la fin se dessine…
Si bien qu’en 1973 l’auteur se sent déjà « mort à moitié » et que l’œuvre suit son cours « moitié bien, moitié mal ». Que demander de plus ? Il y a encore des bouteilles de whisky mais de plus en plus de mutisme : « je deviens muet » écrit-il à Alan Schneider en 1980.
L’œuvre et la vie s’éteignent peu à peu : « Toujours ici avec les croulants, on dirait des fois que c’est pour de bon ». Beckett ne se trompe pas. Entres « sursauts » et « soubresauts », la vie s’achève : « je crains d’être irréparable » écrit il en août 1989 : il a vu juste. La boucle est bouclée. Mais reste jusqu’au bout cette musique inhérente au verbe de Beckett.
Cette musique venue de partout et de nulle part ou celle du silence qui est ce que l’œuvre aura produit de plus intense sur ce fond de malheur mais dont l’auteur n’aura jamais fait un fromage même s’il justifie l’œuvre et sa nécessité.
jean-paul gavard –perret
Samuel Beckett, Lettres IV, 1966–1989 , traduit de l’anglais par Georges Kahn, Gallimard, Paris, 2018, 952 p. Parution le 26 avril 2018.