Autour de la construction du premier immeuble de grande hauteur dans New York, Mikael développe de multiples intrigues et aborde nombre de de thématiques dont le côté historique a encore des retentissements aujourd’hui. Il décrit le travail sur ce type de chantier, les conditions des ouvriers, le statut des salariés, le danger permanent avec l’absence de règles de sécurité… Il chiffre à un accident mortel, en moyenne, tous les dix étages. Il raconte la vie de ces immigrés, détaille le déracinement de ces hommes partis pour survivre, trouver du travail, donc de l’argent pour faire vivre ceux restés au pays. Il cite les « légendes » racontées par ceux qui revenaient au pays et décrivaient un Eldorado fantasmé.
Cette vague migratoire économique des Irlandais, même si elle ne connaît pas, en nombre d’individus celle qui se déroule aujourd’hui, reste cependant, en pourcentage de la population concernée, l’une des plus fortes.
Giant, n’osant pas annoncer la mort d’un collègue de chantier à son épouse restée en Irlande, entreprend une correspondance en se faisant passer pour lui, envoyant régulièrement de l’argent.
Le géant irlandais est tombé dans un guet-apens tendu par des Italiens. Ses compagnons de travail guidés par Dan, son ami, le ramènent très mal en point dans son appartement. Ils n’ont trouvé qu’un vétérinaire pour le soigner. Betty, sa jeune voisine, une artiste, propose de s’occuper de lui. Curieuse, elle lit la lettre qu’il reçoit dans laquelle Mary Ann, la veuve, l’informe qu’elle vient le rejoindre à New York avec les enfants. De rage, car elle pensait avoir trouvé un bon parti, Betty déchire la lettre et jette les morceaux. Avant de partir elle cherche l’argent de Giant, trouve la cachette quand arrive Dan qui lui reprend les billets.
Giant décide d’avouer la vérité à l’épouse et emprunte, comme d’habitude, la machine de son voisin, un reporter en mal d’inspiration. Son propriétaire l’ayant mis dehors, il décide de faire du journalisme de terrain et renoue avec le Herald Tribune. Dans le bureau du rédacteur en chef, son attention est attirée par des photos d’ouvriers construisant le « Empty » State Building. Ce dernier lui conseille de rencontrer la photographe, Dorothea Macphail, un joli brin de fille, mais une vraie emmerdeuse…
Avec Giant, dont le passé reste longtemps dans l’ombre, Mikael revient sur les guerres civiles qui ont déchiré l’Irlande et les conditions honteuses imposées par le traité anglais. Le scénariste livre une belle épopée, celle de ces inconnus, de ces anonymes qui, au prix de risques déraisonnables, ont édifié ce qui fait la spécificité et la gloire de la Grosse Pomme. Il évoque la lutte des femmes pour leurs identité et leur indépendance, leur droit à une certaine égalité, les guerres entre populations de nationalités différentes, les raisons qui faisaient que les indiens Mohawks éraient réputés pour ne pas craindre le vertige…
Mikaël assure le dessin qu’il traite dans les tons sépia, voulant rappeler les illustrations du début du XXe siècle. Il réalise un graphisme dynamique, avec des personnages typés, d’une grande expressivité. Les décors sont traités avec soin et sont détaillés, retraçant avec réalisme ces chantiers et les lieux de vie de ces immigrés.
Documentaire et fiction, témoignage et roman, ce diptyque conjugue le tout dans un scénario remarquablement agencé, servit par un graphisme de qualité.
serge perraud
Giant, Mikaël, Dargaud, tome 2/2, janvier 2018, 64 p. – 13,99 €.