Après avoir travaillé dans l’édition musicale, Gabrielle Jarzynski (photo Rouyer) a tout plaqué en deux mois pour se consacrer totalement à l’écriture et travailler en atelier avec d’autres artistes qui dialoguent avec ses écrits. Elle possède elle-même une approche de plasticienne en mixant beaucoup de techniques et les ressources du graphisme afin de changer l’image du livre. Dans son écriture, la scansion est importante. La poétesse enregistre parfois ce qu’elle écrit en lisant pour éprouver « la sensation de travailler de la matière, comme les peintres avec les couleurs ».
Chaque livre devient un hybride, il peut prendre diverses formes : « boîte livre », texte écrit sur un miroir, etc. mettent en volume ce qu’elle ressent. Et lorsqu’elle expose, elle ne se contente pas de montrer des textes mais crée une installation sonore et visuelle. Son objectif est constant : «je cherche comment on peut s’approprier le texte autrement que par le livre, le rendre plastique. » Et d’ajouter : « je casse un certain rapport à l’écriture, qui permet d’éviter de rester au premier degré. Et grâce à l’image, je rends aussi certains mots « difficiles » plus accessibles ».
D’autant que son écriture est dangereuse. Elle est celle d’un corps cru et érotique comme dans son livre accompagné des photos de Claude Rouyer « donnez-moi un peu de F du K et du S » (préambule à la sortie d’un futur recueil intitulé « Bout de Ficelle »). Au lieu d’ausculter le passé, la poétesse se projette dans l’avenir entre espoir et frayeur. S’adressant à son amour, l’auteure lui adresse une injonction « Lisez cette recette gratuite, abrupte et amère ». Mais la peur est bien au rendez-vous. Celle qui lance son appel ressent une boule dans ses entrailles. « Je tangue et je bascule » avoue celle qui fonce dans un je t’aime moi non plus voire un certain masochisme qui la pousse néanmoins à des exploits guerriers. Si bien que parfois nul ne sait plus qui parle de la femme ou de l’homme. Les genres sont sans doute marqués mais le locuteur beaucoup moins en un jeu de passe-passe.
Néanmoins dans ce jeu de l’amour où il n’existe pas de place au hasard la femme possède, sinon le dernier mot, la dernière parole. Ce qui est différent. Dépecée, elle s’abandonne à la mutilation et au charme de « paroles saintes, immondes et innommables ». Le chant est au don. Mais ce don est ambigu sinueux et complexe : “Hier tu ne m’aimais pas. /aujourd’hui tu m’aimes. / Un autre aujourd’hui moins et le lendemain plus tu ne m’aimeras plus” . La peur domine.
Et l’homme le lui rappelle :« Tu auras peur du grand méchant loup cheveux touffus barbe de quelques jours. /Tu auras peur de donner ton corps frêle flétri de tes seins éponges le premier jour. /Tu auras peur de tomber dans les griffes acérées de tes sentiments exacerbés. /Tu auras peur d’ouvrir ta fleur de tes pensées tes envies tes rêves et tes fantasmes de vie. Pour autant la femme n’est pas immobilisée dans le silence, ni ensevelie dans sa nuit.
Elle tient, se bat – quitte à ramper. Prête à tout pour boire l’amour au sein de ce qui sans tomber dans la haine est proche de l’immolation. Rien n’est donc donné aux êtres que cette sur-vie de l’amour qu’importe la qualité. L’une est joueuse de flûte de Haarlem, l’autre serpent traversier. Ce n’est plus, comme dans la Bible, Eve la seule fautive. Si elle a des tords Adam en possèdent au moins autant qu’elle. Et Cupidon fait avec ce qui reste au risque d’hypothéquer ce que l’amour à de courtois. Dès lors musique de nuit est riche en bémols mais qu’importe; « ça suit son cours » aurait dit Beckett. Et l’incendie idem. Qu’importe les cendres. Et la fin. Elle est écrite. Déjà.
jean-paul gavard-perret
Gabrielle Jarzynski, photos de Claude Rouyer , Donnez moi un peu de F du K et du S, Editions de l’Aigrette, coll. « Imaginaires », Montélimar, 2018 — 14, 00 €.