Emmanuel Lepage, Ar-Men, l’Enfer des enfers

Entre ciel et mer 

Emma­nuel Lepage aime les voyages, obser­ver des lieux impro­bables et faire par­ta­ger ses décou­vertes sous forme d’albums où il raconte la genèse et mêle des élé­ments défi­nis­sant l’atmosphère, les racines de ces contrées. Après Voyage aux îles de la Déso­la­tion dans les mers aus­trales, le cœur d’une zone radio­ac­tive avec Un prin­temps à Tcher­no­byl, il fait vivre une aven­ture mari­time sans pareille avec Ar-Men, l’Enfer des enfers. Ar-Men est le nom bre­ton d’un rocher situé au-delà de l’île de Sein, où un phare est érigé. C’est le phare le plus exposé de Bre­tagne dont l’accès est sans cesse difficile.

Germain, un des gar­diens, de ce phare assiste à la relève de Pier­rick qui laisse sa place à Louis. Celui-ci s’installe selon un céré­mo­nial bien rodé. Ger­main est hanté par des sou­ve­nirs qui le tor­turent, par celui de sa fille qui lui demande de racon­ter la ville englou­tie, l’histoire d’Ys. Cette cité de légende a été construite par le roi Grad­lon. Alors qu’il fai­sait la guerre pour sa foi chré­tienne, il ren­contre la reine Mal­guen et en tombe amou­reux. La mort frappe lorsqu’elle accouche le fruit de leur amour. Il reporte alors cet amour sur cette fille. C’est pour elle qu’il fait bâtir Ys, à son image libre et envoû­tante. Or, cette liberté dérange Gué­nolé, le confes­seur, un pisse-froid de pre­mière, qui craint que cet exemple se pro­page.
Ger­main raconte éga­le­ment la vie sur le phare avec ses rites pré­cis, son enchaî­ne­ment de tâches pour assu­rer coûte que coûte le fonc­tion­ne­ment de cette lumière dans la nuit. Il décrit l’océan, les tem­pêtes qui montent à l’assaut de ce fût de vingt-neuf mètres. C’est un de ces coups de bou­toir qui effrite un crépi et met à jour un récit, celui de Moï­nez, celui qui devien­dra le pre­mier gar­dien. L’eau dévoile aussi la liste impres­sion­nante des nau­frages sur La Chaus­sée, cette suc­ces­sion de rochers d’où la déci­sion de construire un phare sur cette zone pour arrê­ter les catas­trophes. C’est Ar-Men qui est retenu.

Avec l’histoire de ce phare, l’auteur aborde nombre de sujets, de thèmes qu’il déve­loppe de belle manière, por­tés par un gra­phisme impres­sion­nant. Après la Ville d’Ys et sa légende, c’est la vie quo­ti­dienne des gar­diens que l’auteur fait décou­vrir. Il évoque l’existence sur l’île de Sein, cette par­tie de la Bre­tagne où : “La mer est aux hommes et la terre aux femmes.” Il expose les évé­ne­ments qui ont amené à cette déci­sion, la construc­tion du phare et les énormes dif­fi­cul­tés qu’il a fallu vaincre pour éri­ger cette colonne de pierres. On retrouve le Bag Noz, le vais­seau fan­tôme avec l’Ankou comme capi­taine et nombre de situa­tions socié­tales inhé­rentes à la proxi­mité de l’océan.
Cette richesse nar­ra­tive est por­tée par des pages superbes, des marines où les vagues, les rou­leaux, les ciels et les élé­ments de décors se fondent en un ensemble éblouis­sant, un pur régal pour les yeux. Les cou­leurs sont envoû­tantes et res­ti­tuent la puis­sance de l’océan, la force des coups qu’il assène à cette construc­tion qui le défie et qui doit sans cesse être entre­te­nue. La pre­mière édi­tion de ce one shot est accom­pa­gnée d’un DVD titré Gar­diens de nos côtes, un docu­men­taires où Emma­nuel Lepage joue son propre rôle d’auteur de bande dessinée.

Avec Ar-Men, l’Enfer des enfers, cet artiste com­plet excelle dans l’art du récit comme dans celui de retrans­crire les élé­ments natu­rels et les sen­ti­ments humains. Un huis clos qui marie docu­men­taire et récits légen­daires, grande épo­pée humaine et récit intimiste.

serge per­raud

Emma­nuel Lepage (scé­na­rio, des­sin et cou­leurs), Ar-Men, l’Enfer des enfers, Futu­ro­po­lis, novembre 2017, 96 p. – 21,00 €.

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