La violence peut-elle être légitimée par une cause juste ?
On ne peut pas reprocher à ce couple d’auteurs, par ailleurs des personnes adorables, de mettre leurs personnages dans des situations lénifiantes. Ils sont même franchement brutaux, malmenant leurs protagonistes, leur faisant vivre des moments terribles. La maison parentale part en fumée, la cellule familiale unie se disloque, un avenir serein se bouche, une adhésion à un mouvement pacifique tourne à la guerre civile, voici quelques-uns des tourments qu’ils vont devoir vivre. Et, pourront-ils survivre ?
Dans un prologue tragique, Vanda Macare et Charlie sont menacées de mort si Leny ne se montre pas. L’action se déporte une semaine plus tôt, le 4 juillet, dans la forêt de Kaysersberg. Julian Stark, un ancien flic, a pris un poste à l’Office national des Forêts il y a dix ans, après les attentats de 2015. Il est venu dans cette maison forestière avec Charlie, sa fille. Il est marié avec Vanda, une ingénieure en télécoms, et son fils Leny. Si les relations entre Julian et le garçon ont été tendues au début, elles se sont apaisées. Cet équilibre bascule quand Julian pénètre dans la chambre de sa fille et la trouve au lit avec Leny. Pour fuir la colère paternelle en attendant qu’elle se passe, les deux adolescents partent pour l’île d’Oléron retrouver un groupe de zadistes écologistes mené par Vertigo dont elle suit le combat sur le blog 3 Watchers of the World.
La chaleur est torride sur les Vosges et un feu de forêt ravage la région, brûlant la maison forestière, causant la mort de Nassau, le chien auquel Julian était très attaché. Les fugueurs arrivent vers la ZAD. Si Charlie est enchantée, Leny reste sur une prudence réserve. Julian et Vanda enquêtent et, peu à peu, se rapprochent de leurs enfants. Mais sur la ZAD, au lieu de joyeux écologistes, ils ont affaire à un groupe lourdement armé, bien équipé en moyens de détection et d’investigation. Vertigo, le gourou, est plus près du tyranneau de banlieue que de l’apôtre dispensant amour et bonté. Il proclame la république d’Islanova sur le terrain occupé et déclare la guerre au gouvernement français. Et une fois encore, tout bascule…
Le cadre du récit emprunte à une actualité brulante, aux problématiques actuelles telles que le terrorisme aveugle, les désastres écologiques, l’eau potable qui se raréfie, une pénurie accrue par une chaleur intense, des incendies volontaires qui ravagent des régions, le capitalisme triomphant… Si les actions sont projetées dans un futur proche, ce n’est pas de l’anticipation. Nombre des situations existent déjà comme ces zones où le droit de la République ne s’applique plus, où les monopoles affectent la liberté individuelle, où la violence règne en maîtresse sous l’impulsion de quelques détraqués…
Par ailleurs, les romanciers décrivent avec finesse les problèmes qui peuvent se poser dans des familles recomposées, l’ajustement des relations et, pourquoi pas, une histoire d’amour entre deux adolescents que rien ne réunit génétiquement. Les auteurs réussissent le tour de force d’aborder de très nombreux thèmes avec les théories de personnages correspondants sans être confus, sans perdre le lecteur.
Jérôme Camut et Nathalie Hug interpellent, posent des questions avec leurs personnages confrontés à leur passé, à leur passion. Jusqu’où faut-il aller ? Peut-on aller jusqu’aux attentats, aux enlèvements, aux meurtres pour défendre des idées ? Le questionnement sur l’eau n’est pas nouveau chez Jérôme Camut, même s’il devient de plus en plus crucial au fil des années. Il posait déjà le problème dans Malhorne, son incomparable tétralogie (Bragelonne). Jérôme Camut et Nathalie Hug proposent des histoires fortes, au rythme trépidant, mettant le lecteur au cœur de l’action à travers les yeux de personnages loin d’être dichotomiques ou manichéen.
Un remarquable roman à côté duquel il ne faut surtout pas passer !
serge perraud
Jérôme Camut e& Nathalie Hug, Islanova, fleuve noir, octobre 2017, 784 p. – 22,90 €.