Adèle Nègre, Chahut

« Pro­lon­ge­ment — non pas saisie »

Adèle Nègre cadre, décadre, passe devant ou der­rière des miroirs. Le mou­ve­ment ne cesse de dépla­cer les lignes. Elle nomme cela  Cha­hut. Mais il est silen­cieux, céré­mo­nial. Et la pho­to­graphe – qui est aussi poète – de pré­ci­ser : « émerge la face de la noyée. / “La nuit donne à mon ombre sa matière” / La lune inonde. » 
Pas­sant du dehors où « l’herbe four­mille, le lise­ron pro­gresse encore dans les asters », à l’atelier l’artiste fait bou­ger les lignes, suit l’ascension du corps, retient à peine ses pas­sages, ses fuites. Adèle Nègre sai­sit la méca­nique des cou­rants. Son visage est entrevu au-dessus d’un voile qui devient un « nuage phy­sique » là où une cho­ré­gra­phie avance et ravive ce qui vacille.

Comme l’artiste l’écrit, demeure « Pro­lon­ge­ment — non pas sai­sie » afin de rete­nir l’imperceptible de la sen­sa­tion là où la lumière filtre, où un mur devient parure. Tout se défait et fond. Entre vitesse et len­teur : « Une géo­mé­trie variée sui­vant les heures /je réflé­chis des équerres / sou­pèse des cercles chan­geants ». L’artiste ne prend rien mais filtre et caresse, unit et dés­unit. La parade presque nup­tiale prend un nou­veau sens. Celui d’une cer­taine fuite. Ou pré­sence.
Existent des injonc­tions silen­cieuses, la som­ma­tion d’une perte et d’un recou­vre­ment. Tout est inef­fable et pal­pable, bal­bu­tie­ments pro­gram­més non sans rigueur. Les visions s’envolent et font retour, s’étiolent, se concré­tisent. Seul le chan­ge­ment per­dure là où Adèle Nègre conti­nue de cher­cher hau­taine ou cour­bée. Sou­ve­raine tou­jours. Pour appa­raître libre en ses approches subtiles.

« Quelque chose suit son cours » disait Beckett : l’artiste crée le conclave où cela rayonne, flotte, jaillit vers le haut « tan­dis que je des­cends dans mon sang : / et sans cher­cher je vois /quoi dire ». Et mon­trer.

jean-paul gavard-perret

Adèle Nègre, Cha­hut, expo­si­tion Cor­ri­dor Elé­phant, Paris, Novembre 2017.

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