André Chamson, L’Aigoual

Par la voix du pro­phète ou la mon­tagne sacrée

Pour Cham­son, l’Aigoual fut plus qu’une mon­tagne des Cévennes : des êtres de chair et de sang qui ont tenu les Cévennes. Corps et lieux sont amal­ga­més en ce texte dans un lan­gage d’élection. Les phrases grimpent où les yeux comme la mémoire ont tra­vaillé. C’est pour­quoi, abor­dant ce lieu, ses  châ­tai­gne­raies et ses cimes l’auteur entre­tient un rap­port vis­cé­ral non seule­ment avec la mon­tagne mais sa « race » — mot qu’osa l’auteur à une époque où il n’était pas inter­dit.
Son livre se veut une mémoire mais une mémoire ouverte qui appelle au futur. C’est pour­quoi le livre prend force d’icône plus que de fétiche ou de fan­tasme. Il per­met d’aller ou de reve­nir en un réel « habité »

Enfant de la mon­tagne, Cham­son en connut la charge, la beauté et la dureté.  L’Aigoual fut et resta sa par­te­naire et le livre per­met d’en ins­tal­ler des rap­ports quasi magiques. Tout se passe comme si l’auteur en impo­sait à la mon­tagne. Elle accueille cette per­son­na­lité qui sut se his­ser à sa hau­teur, prendre part à sa force et à son quart sur le front de ses pay­sages. Pour autant, Cham­son ne s’est jamais voulu héros du lieu mais enfant du pays et héri­tier des cami­sards. L’auteur  ne les a jamais oubliés et s’est  nourri de leur sagesse. Leur his­toire, écrivait-il, « est notre chan­son de geste, notre Illiade, notre Odys­sée et notre Légende dorée ».
Il a rêvé éveillé leur lutte et ne cessa de saluer ceux qui furent des patriarches « maigres comme mon grand-père, mar­chant entre deux dra­gons che­vau­chant des genêts d’Espagne, le sabre à la main ». On ne leur fit aucun cadeau . Mais l’auteur est resté le des­cen­dant  de Pierre Séguier sur­nommé « Esprit », devenu mar­tyr car habité de son Dieu plus que de tout autre roi.

Dans ce livre, Cham­son pour­suit sa rêve­rie. Elle peut sem­bler hors de sai­son mais la lire ramène vers nous un écri­vain trop oublié. L’homme est de son « pays » mais autant de la lit­té­ra­ture. La prose avance avec une puis­sance qui dépasse la simple des­crip­tion et porte vers le chant. Tous habi­tants ou ama­teurs des mon­tagnes seront sai­sis par les plis qui se cachent sous un  cirque de rochers. Mais l’écrivain ne réduit pas le lieu à quelques images. Une suite d’événements ren­forcent l’évocation. L’auteur y retrouve un cœur d’enfant pour don­ner à son peuple son iden­tité autant de démo­cra­tie rus­tique, de che­va­le­rie  que de pro­phé­tie.
Nature et homme ne font qu’un  là où la neige n’a rien d’une écharpe moel­leuse. Elle craque et le vent souffle sur ceux qui tentent de gra­vir les rampes pour rejoindre un havre de paix très provisoire.

De réelle essence poé­tique, le texte ouvre moins sur un « mer­veilleux » qu’à un appel à une morale intime. Et ce, dans l’affirmation des prin­cipes les plus fon­da­men­taux et essen­tiels : « celui de la liberté de conscience et, par la liberté de conscience, du res­pect de l’homme par l’homme ».  Une telle évo­ca­tion paraî­tra ana­chro­nique d’autant que la morale — si sou­vent fou­lée — aux pieds n’est défen­due désor­mais qu’au nom d’intérêts qui ne sont pas for­cé­ment les meilleurs. Nul doute qu’à cette aune, les guer­riers des mon­tagnes les plus pauvres fassent figures de pri­mi­tifs. Mais ils demeurent des pri­mi­tifs du futur.
C’est ce que Cham­son vou­lait rap­pe­ler dans sa célé­bra­tion dont la poé­sie est une plas­tique propre à conduire le regard et sur­tout la pensée.

jean-paul gavard-perret

André Cham­son,  L’Aigoual, des­sins de Vincent Biou­lès, Fata Mor­gana Edi­tions, Font­froide le Haut, 2017,  64 p. — 13,00 €.

 

 

 

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