Par la voix du prophète ou la montagne sacrée
Pour Chamson, l’Aigoual fut plus qu’une montagne des Cévennes : des êtres de chair et de sang qui ont tenu les Cévennes. Corps et lieux sont amalgamés en ce texte dans un langage d’élection. Les phrases grimpent où les yeux comme la mémoire ont travaillé. C’est pourquoi, abordant ce lieu, ses châtaigneraies et ses cimes l’auteur entretient un rapport viscéral non seulement avec la montagne mais sa « race » — mot qu’osa l’auteur à une époque où il n’était pas interdit.
Son livre se veut une mémoire mais une mémoire ouverte qui appelle au futur. C’est pourquoi le livre prend force d’icône plus que de fétiche ou de fantasme. Il permet d’aller ou de revenir en un réel « habité »
Enfant de la montagne, Chamson en connut la charge, la beauté et la dureté. L’Aigoual fut et resta sa partenaire et le livre permet d’en installer des rapports quasi magiques. Tout se passe comme si l’auteur en imposait à la montagne. Elle accueille cette personnalité qui sut se hisser à sa hauteur, prendre part à sa force et à son quart sur le front de ses paysages. Pour autant, Chamson ne s’est jamais voulu héros du lieu mais enfant du pays et héritier des camisards. L’auteur ne les a jamais oubliés et s’est nourri de leur sagesse. Leur histoire, écrivait-il, « est notre chanson de geste, notre Illiade, notre Odyssée et notre Légende dorée ».
Il a rêvé éveillé leur lutte et ne cessa de saluer ceux qui furent des patriarches « maigres comme mon grand-père, marchant entre deux dragons chevauchant des genêts d’Espagne, le sabre à la main ». On ne leur fit aucun cadeau . Mais l’auteur est resté le descendant de Pierre Séguier surnommé « Esprit », devenu martyr car habité de son Dieu plus que de tout autre roi.
Dans ce livre, Chamson poursuit sa rêverie. Elle peut sembler hors de saison mais la lire ramène vers nous un écrivain trop oublié. L’homme est de son « pays » mais autant de la littérature. La prose avance avec une puissance qui dépasse la simple description et porte vers le chant. Tous habitants ou amateurs des montagnes seront saisis par les plis qui se cachent sous un cirque de rochers. Mais l’écrivain ne réduit pas le lieu à quelques images. Une suite d’événements renforcent l’évocation. L’auteur y retrouve un cœur d’enfant pour donner à son peuple son identité autant de démocratie rustique, de chevalerie que de prophétie.
Nature et homme ne font qu’un là où la neige n’a rien d’une écharpe moelleuse. Elle craque et le vent souffle sur ceux qui tentent de gravir les rampes pour rejoindre un havre de paix très provisoire.
De réelle essence poétique, le texte ouvre moins sur un « merveilleux » qu’à un appel à une morale intime. Et ce, dans l’affirmation des principes les plus fondamentaux et essentiels : « celui de la liberté de conscience et, par la liberté de conscience, du respect de l’homme par l’homme ». Une telle évocation paraîtra anachronique d’autant que la morale — si souvent foulée — aux pieds n’est défendue désormais qu’au nom d’intérêts qui ne sont pas forcément les meilleurs. Nul doute qu’à cette aune, les guerriers des montagnes les plus pauvres fassent figures de primitifs. Mais ils demeurent des primitifs du futur.
C’est ce que Chamson voulait rappeler dans sa célébration dont la poésie est une plastique propre à conduire le regard et surtout la pensée.
jean-paul gavard-perret
André Chamson, L’Aigoual, dessins de Vincent Bioulès, Fata Morgana Editions, Fontfroide le Haut, 2017, 64 p. — 13,00 €.