James Joyce, Chamber Music suivi de Pomes Penyeach

Joyce poète lyrique

Avant d’être celui qu’il allait deve­nir, James Joyce a dû fran­chir des étapes dont des épreuves poé­tiques pré­sen­tées ici et tra­duites par Pierre Trouiller.  Cham­ber Music  date de 1907 et  Pomes Penyeach  de vingt ans plus tard. Dans le pre­mier opus, Joyce ne se dégage qu’avec peine d’une pré­cio­sité et d’un sym­bo­lisme fin de siècle. Quant à ses der­niers poèmes, ils sont empreints d’une nos­tal­gie quasi roman­tique sau­vée néan­moins par l’originalité de l’écriture.
Cham­ber music  écrit avant l’exil (choisi) par Joyce de son Irlande natale a été fina­lisé par son frère. Le poète a en effet plus ou moins aban­donné ces textes de nais­sance et de mort d’un amour déve­lop­pés selon une concep­tion cour­toise fort éloi­gnée des lettres enflam­mées que l’auteur enverra plus tard à « sa » Nora… (mais c’est une autre histoire).

Tout est déli­cat, en finesse là où « les saules s’assemblent ». L’ensemble est sou­vent à la limite d’une pré­cio­sité com­pas­sée et pétrar­qui­sante. Joyce se veut trou­ba­dour en sem­blant oublier que la plus exacte garan­tie pour le divorce est le mariage. Bref, le poète reste avant tout lyrique parmi les lyriques et Ver­laine n’a qu’à bien se tenir face aux « gais accords » d’une aimée que Joyce se plaît à sanc­ti­fier au sein des dédales de la nature. Un « plai­sant bois vert » rend l’amoureux plus déli­cieux et — un peu plus tard — plus élé­giaque là où mali­gnité et ten­dresse vont d’un seul pas jusqu’à ce que la las­si­tude s’installe.
Le pla­to­nisme, d’une cer­taine façon, finit dans un nau­frage. Pomes Penyeach est un recueil plus libre : il est vrai que Joyce vient d’écrire Ulysses et qu’il a acquis de la bou­teille. Il se per­met même une cer­taine fan­tai­sie : chaque poème repré­sente un penny, soit un dou­zième de shil­ling. Le pre­mier texte est offert comme sup­plé­ment gra­tuit « à la façon des com­mer­çants irlandais »…

La vir­tuo­sité y est plus active mais tout autant musi­cale. Chaque poème devient une sorte d’histoire en un ensemble dis­pa­rate où aimées et vide font un mixage bien plus har­mo­nieux qu’on pou­vait l’imaginer. A la mono­die de celui qui fut son secré­taire (Beckett) répond ainsi la poly­pho­nie joy­cienne. Chez lui, le lan­gage reste cette « chose » mul­tiple où tout résonne dans la plus grande chaîne para­dig­ma­tique pos­sible. Il y a de l’indéfiniment dit et redit chez Joyce tan­dis que chez Beckett se pro­duit l’aridité d’une dic­tion qui se confond avec l’aridité de la fic­tion.
Chez l’auteur de Gens de Dublin, le lan­gage reste une esthé­tique de la domi­na­tion. Le créa­teur pos­sède le monde dans une sorte de triomphe lexi­cal même si la nos­tal­gie per­dure. Mais la toni­cité reste vivace et Nora saura don­ner à son poète toute la superbe éro­tique et sen­ti­men­tale qu’il attendait.

jean-paul gavard-perret

James Joyce, Cham­ber Music suivi de Pomes Penyeach, tra­duc­tion de Pierre Trouillier, Edi­tions de la Dif­fé­rence, Paris, 2017, 130 p. — 8,00 €.

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