Un remarquable roman graphique
GIPI, Gian-Alfonso Pacinotti, né à Pise, est un artiste graphique italien dont l’œuvre collectionne les prix les plus variés sacrant ses diverses créations. Dans le domaine de la bande dessinée il a reçu le Prix Goscinny du meilleur scénariste et le Fauve d’Or. Il travaille, de livre en livre, sur le passage de l’enfance à l’âge adulte. Trois ans après Vois comme ton ombre s’allonge qui racontait la mutation d’un homme vers la schizophrénie, il revient avec La terre des fils, un roman graphique qui traite autant de l’apprentissage, de l’autonomie que de la connaissance de la réalité, une nouvelle vision de l’allégorie de La Caverne de Platon.
Dans une sorte de savane, sous un ciel très chargé, deux garçons sommairement vêtus progressent. Avec un bâton appointi, le premier tue un chien. Sur le chemin de retour, ils trouvent un squelette humain. L’un d’eux prend un os, mais l’autre le dissuade de le rapporter : “Il ne veut pas lui.” Lui, c’est le père qui attend sur une maison lacustre. Il fait dépecer le chien mort avant d’aller voir le Fou pour un échange. Celui-ci évoque, avec soupçons, son chien disparu depuis deux jours. Mais le père lui affirme qu’il était déjà mort.
Le soir, le père sort un cahier et écrit. Les fils suivent avec incompréhension son occupation. Ils ne saisissent pas ce qu’il fait. Dans ce monde lugubre, sur ce lac, le père meurt. Les fils ont alors accès au cahier mais, comme ils ne savent pas lire, le contenu leur reste inaccessible. Ils décident d’aller voir le Fou qui peut-être… Commence ainsi une quête vertigineuse de violence dans un monde où la brutalité est sans limites, dans un univers sans lois.
Avec ce nouveau roman graphique, l’auteur propose un récit qui allie anticipation et initiation, réflexions sur la connaissance, sur les acquis de base et une ode à l’amour qui semble être le seul sentiment capable de donner au monde un équilibre malgré les pires fléaux. Il prend pour cadre une Terre post-apocalyptique sans, cependant, donner d’indications sur les raisons, la nature, la forme de la catastrophe qui a ravagé la planète où survivent quelques individus. Il a laissé à l’imagination de ses lecteurs la possibilité de faire leur choix dans tous les possibles (et il y en a !).
Il concentre son histoire autour du mystère que représente, pour les deux fils, le contenu du journal écrit par leur père et initie, ainsi, une quête initiatique pour ces adolescents. L’auteur place son lecteur dans la situation des deux garçons face à ce cahier, ne possédant pas plus d’informations qu’eux. Pour ce faire, par exemple, il propose dix planches du journal, des pages absolument illisibles, telles qu’elles se présentent aux yeux des deux fils. Les dialogues sont réduits au strict minimum, laissant parler les images, des vignettes réalisées à la plume, optant pour une technique graphique primitive, en noir et blanc, allant à l’essentiel.
Il introduit, dans le cours du récit, la religion et les inepties perpétrées par les fidèles au nom d’un pauvre dieu aussi pathétique que ses adeptes. Il laisse, dans ce monde en perdition, l’attrait de l’homme pour la femme, le besoin de sexe, mais ouvre sur une relation amoureuse.
GIPI, avec La terre des fils, offre un roman graphique âpre, brutal, mais d’une grande beauté quant à l’espoir qu’il place dans l’humanité.
serge perraud
GIPI, La terre des fils (La Terra dei Figli), traduit de l’italien par Hélène Dauniol-Remaud, Futuropolis, mars 2017, 288 p. – 23,00 €.