J.-M. Charlier, La Patrouille des castors — Intégrale 3

Entre polar et récit d’espionnage.

C’est en novembre 1954, que paraissent les pre­mières planches de cette nou­velle série dans Le Jour­nal de Spi­rou. Le scou­tisme et ses valeurs sont ins­ti­tués en modèle d’éducation et nombre de romans, de fas­ci­cules des­ti­nés à la jeu­nesse paraissent avec des scouts pour héros. C’est l’image d’une jeu­nesse pleine d’idéal, res­pec­tueuse d’une morale et de valeurs huma­nistes. Ils exaltent, éga­le­ment, la vie en plein air et le contact avec la nature. Il est donc natu­rel, dans ce contexte, que la BD par­ti­cipe à ce cou­rant. De plus, le genre est por­teur et ren­contre le suc­cès chez les jeunes… et les moins jeunes.

Le pro­li­fique, mais talen­tueux, Jean-Michel Char­lier ima­gine La Patrouille des Cas­tors avec Pou­lain, Chat, Fau­con, Mouche et Tapir, un groupe de cinq scouts pour héros. C’est MiTacq (Michel Tacq) qui assure le des­sin. Très vite, la série est plé­bis­ci­tée et devient un des piliers du Jour­nal. Tou­te­fois, des dis­sen­sions se font jour. Parce que Char­lier n’est plus en odeur de sain­teté, MiTacq sou­haite par­ti­ci­per à l’écriture et faire évo­luer la série vers plus d’exotisme. Les jeunes gar­çons vivent, alors, des aven­tures dans des pays lointains.

La situa­tion du scé­na­riste, à cette époque, est bien dif­fé­rente de celle d’aujourd’hui. Le des­sin est pri­mor­dial, alors que l’écriture est quelque peu relé­guée au second plan. Le nom du rédac­teur n’apparait pas dans le car­touche d’en-tête de la série. Jean-Michel Char­lier, qui doit assu­rer son pain quo­ti­dien, accepte cette situa­tion. Le suc­cès décline, l’option prise de faire voya­ger des jeunes gar­çons dans des lieux exo­tiques fait long feu. Les jeunes ne se recon­naissent plus dans les héros. L’identification, essen­tielle pour la réus­site d’une série, ne fonc­tionne plus. Char­lier reçoit des reproches de l’éditeur. Il obtient, après s’être entendu avec MiTacq, de reprendre seul l’écriture de la série.
Finis les pays étran­gers, il ramène ses intrigues en France. Ainsi, les quatre aven­tures qui consti­tuent cette troi­sième Inté­grale se déroulent res­pec­ti­ve­ment dans le Mas­sif Cen­tral, dans l’Ouest pari­sien, à Paris même et aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

Char­lier fait évo­luer, avec son expé­rience de scé­na­riste, ses intrigues, pro­pose des récits de plus en plus pal­pi­tants, com­plexes, intro­dui­sant une part d’angoisse. Il orga­nise des scé­na­rii dans la plus pure tra­di­tion feuille­ton­nesque, entre polar et récit d’espionnage. En effet, ce genre fait fureur avec la Guerre Froide qui se déchaîne entre les deux blocs. Paral­lè­le­ment, il fait évo­luer ses per­son­nages. Il les vieillit, a un rythme rela­ti­ve­ment lent, puisque selon Mitacq les héros prennent un an… tous les dix ans. Il est vrai que, dans les pre­mières aven­tures, les jeunes gar­çons rele­vaient plu­tôt, selon la hié­rar­chi­sa­tion en vigueur, des Lou­ve­teaux que des Scouts.

Ce troi­sième tome de l’Intégrale, regroupe Le Traître sans visage, Le Signe Indien, Les Loups écar­lates, Menace en Camargue. Dans le pre­mier album, Mouche, qui a trouvé refuge dans une ferme iso­lée, sur­prend une conver­sa­tion dans laquelle un traître veut livrer des plans de l’OTAN à une puis­sance enne­mie. Le Signe Indien est basé sur un évè­ne­ment réel, la mort acci­den­telle du pilote de vol­tige Léon Bran­cotto, un ami de Char­lier. Le scé­na­riste ajoute une sombre his­toire de guerre sou­ter­raine du pétrole… L’aventure des Loups écar­lates com­mence avec Tapir qui inau­gure un vélo­mo­teur flam­bant neuf et un jeu de piste qui consiste à suivre, à tra­vers Paris, une chef de troupe qui joue un espion. Mais… La Patrouille est invi­tée, par un mana­dier, à pas­ser un mois d’été en Camargue. Sur place, la situa­tion est ten­due, des bêtes meurent empoi­son­nées. Une menace pèse sur la Camargue.

Certes, si aujourd’hui le scou­tisme n’est plus à l’honneur, tout l’intérêt de ces aven­tures  réside dans les scé­na­rii de Jean-Michel Char­lier — dont on ne célé­brera jamais assez son apport à la BD - et au gra­phisme élé­gant et racé de MiTacq.

serge per­raud

Jean-Michel Char­lier, La Patrouille des cas­tors — Inté­grale 3, Dupuis, 2012, 156 p. — 28,00 euros.

Leave a Comment

Filed under Bande dessinée, Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>