Extension du domaine de la lutte
Le texte de Gabrielle Jarzynski est d’une force rare. Lumineux dans le sordide, il fait de la jeune poétesse une Guyotat féminine capable comme lui de transformer la crasse en or. Tout un jeu sadomasochiste se déploie là où tous les partenaires restent en sursis. Le poésie est intense dans ce qui tient d’un livre plateau de cinéma où les personnages se perdent, errent, brûlent chacun selon ses postulations.
Violente dans sa façon de pénétrer au couteau dans les plis de l’être, l’auteure module le jeu en faisant glisser la narration vers une affaire de cinéma de presque horreur. Mais qu’importe : « Je serai encensée par la critique (nauséabonde la critique) et je baiserai mon partenaire (à l’écran mon partenaire) ». Et l’auteure d’ajouter : ” J’en ai des frissons. Mielleux les frissons. Ils parcourent mon dos, transpercent mon occiput et s’évaporent dans ma culotte. Mouillée ma culotte.”
Smith Smith a su rentrer dans ce jeu et faire du cinéma en noir sur blanc du texte un film en couleurs. Il est paroxysmique mais son espace est paradoxalement plus mental que celui du livre. L’image en est volontairement altérée pour éviter l’effet purement cinématographique dans ce jeu narcissique de petite mort et de confusion.
L’imaginaire de l’auteur, comme celui de l’artiste, contredit la répression du réel. Il se retourne comme un gant. Les signes manifestes de l’existence acquièrent une propriété réversible. Et là où la fermeture éclair de l’imaginaire s’ouvre, la cosse de l’image devient un cache-sexe par redécoupages de fragments. Histoire de contrarier l’histoire du voyeur pour la transformer en celle d’une voyance là pourtant où le réel semble coruscant.
Il renvoie au scintillement d’un « bleu du ciel » cher à Bataille par le bleu de la nuit américaine de l’image et les bleus à l’âme d’une jeune auteure à suivre absolument. Ses extensions du domaine de la lutte sont aussi existentielles (même par effet-cinéma) que radicales.
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Gabrielle Jarzynski & Smith Smith, Un vendredi matin, A/Over éditions, 2017 –19,00 €.
A noter : exposition Gabrielle Jarzynski & Lucie Linder, La Mue, du 16 au 29 mars 2017, Point Éphémère, Paris.