Corinne Rozotte l’indépendante — entretien avec l’artiste

Même lorsque la soli­tude gagne, Corinne Rozotte ne se contente pas d’étreindre le vide : elle lui donne sens même lorsque appa­raît la glis­sade vers l’indifférencié. L’œuvre devient au fil du temps plus âpre et aussi plus poé­tique. L’Imaginaire fonc­tionne à plein pour faire sur­gir des vir­tua­li­tés néga­tives au sein de l’expérience fon­da­men­tale d’une émo­tion océane. Tout s’oriente, decres­cendo, vers le silence, vers l’invisible. Mais l’artiste sug­gère néan­moins des liens, des appels sur fonds indé­ter­mi­nés. L’œuvre reste la rhé­to­rique du silence où le monde signi­fie sans doute mais sans dire de quoi il retourne. La pho­to­graphe pour­suit son expé­rience des limites. Reste ce qu’écrit Beckett dans Lettre morte : « Le lieu encore. Où nul. Une bonne fois pour toutes pour de bon”. Demeure une inter­ro­ga­tion majeure sur la direc­tion où va le monde. Avec la sen­sa­tion impli­cite qu’il est en cours d’assassinat. Néan­moins, Corinne Rozotte tente de lui redon­ner vie dans la marche de ses images.

De Corinne Rozotte  voir entre autres Les Hautes mers, http://www.corinnerozotte.net/

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La VIE.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Dilués dans l’air du temps, absor­bés par les pompes à cha­leur, gelés par les glaces. Ils ont changé, rem­pla­cés par d’autres d’une vie d’adulte qui ne fait pas son âge.

A quoi avez-vous renoncé ?
Eh bien….après réflexion, à Rien je crois !

D’où venez-vous ?
De loin….dans le sens où je suis depuis l’enfance en totale rup­ture avec ma famille de sang.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un sen­ti­ment de culpa­bi­lité face à toute étin­celle de joie ! Heu­reu­se­ment, clair­voyance et petits bon­heurs de la vie m’ont petit à petit appris à m’en détacher.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Rou­ler en scoo­ter sur les quais de Seine pari­siens en écou­tant de la musique

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
TOUT ou Pas Grand Chose, c’est selon le sens des alizés…

Com­ment définiriez-vous votre approche de la mémoire ?
Pour moi, il est impor­tant de mon­trer que seule la mémoire des émo­tions et des sen­ti­ments est impor­tante car plus que la mémoire « nor­mée » (repères spatio-temporels, faits his­to­riques, com­por­te­ments socia­le­ment adap­tés, etc. ) – c’est elle qui nous relie au monde et aux autres.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le por­tait de la chan­teuse Bar­bara sur la pochette d’un de ses pre­miers disques vinyle fai­sant pen­ser à un néga­tif photo inversé : tête pen­chée, yeux fer­més, bouche ouverte….Icône du don de soi ou repré­sen­ta­tion d’une impu­deur fol­le­ment maî­tri­sée… En tous cas, image ren­ver­sante et inoubliable.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je me rap­pelle l’univers des Rougon-Macquart de Zola, que m’avait fait décou­vrir mon père, et le pre­mier roman que j’ai lu ça devait être L’Assommoir, fas­ci­née par la fata­lité des des­ti­nées dépeintes.

Quelles musiques écoutez-vous ?
A peu près tout avec quand même des pré­fé­rences pour la puis­sance d’évocation de cer­tains titres du réper­toire de la chan­son fran­çaise et de la nou­velle scène de la chan­son fran­çaise (Camille, Axel Beau­pain, La Grande Sophie, M…)
Je suis aussi très sen­sible aux voix, celle de Bar­bara bien-sûr, Sia Fur­ler, la chan­teuse aus­tra­lienne qui a une voix magni­fique, James Bow­man, le contreténor…Le groupe qué­bé­cois Har­mo­nium, dis­paru aujourd’hui…et plein d’autres.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je crois aucun pour l’instant….il y aurait bien Belle du Sei­gneur, mais je réserve cela pour plus tard… Trop de choses à décou­vrir encore pour pen­ser relecture !

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Mommy » de Xavier Dolan …la dite « folie » ne s’enferme pas et l’Amour devrait tou­jours triom­pher de Tout ! Il y a dans ce film une puis­sance émo­tion­nelle abso­lu­ment incroyable.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un de sym­pa­thique qui ne se prend pas — sur­tout pas – au sérieux !

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Mar­gue­rite Duras…je n’aurais pas eu les mots pour lui dire mon admiration.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
NYC, sans doute parce que je suis euro­péenne. Si j’étais amé­ri­caine, ce serait Paris !

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Dans le désordre : Mario Gia­co­melli, Guillaume Her­baut, Daido Moriyama, Mikael Acker­man, Chris­tian Bobin, Pierre San­sot, Zouc, Barbara…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
L’oubli de sa date pour ne plus pen­ser à le fêter !

Que défendez-vous ?
Les droits des ani­maux et la recon­nais­sance de leur sensibilité.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Deux néga­tions mises bout à bout s’annulent. Dans ce cas, tout devient fluide et naturel

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Faut res­ter posi­tif, non ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Com­ment j’ai tué mon père ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraure.com, le 7 février 2017.

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