La Madeleine de Pupa Neumann donne un écho particulier à son modèle : celle de Gide, épouse blanche et cousine de celui qui ne la touchera jamais sous prétexte qu’il l’aimait d’un amour trop pur. C’est là une belle torsion de sa biographie, une farce obscène envers la femme dont « la porte étroite » fut remplacée sur le plan des désirs par les garçons en fleurs. Madeleine fut donc la dupe consentante de celui qui la réduisit à l’état de faïence, du postiche. Elle accepta le deal et devint jusqu’à sa mort l’épouse attentionnée, évanescente puisque Eva en elle ne fut jamais naissante.
Pupa Neumann montre ce que cette résignation cacha. Opaline la biche aux abois garde — dans la jeunesse présente — des touffeurs sexuelles, des émois extatiques dont la photographe se garde bien de révéler la nature… La série souligne l’ambiguïté de la femme saisie dans sa beauté et dans les miasmes qui l’animent au seuil d’une vie imprévue et mort-née sur le plan de la satisfaction libidinale.
Parfois, cheveux tirés, il existe en elle de la novice, parfois — plus débridée — elle reste néanmoins ensevelie sous des vêtements dont elle tente désespérément de se dégager. Néanmoins, elle ressemble déjà à une poupée dont la mécanique s’enclenche pour assumer son destin effacé et frustrant auprès de son illustre mari.
La puissance de Pupa Neumann est de suggérer le malaise d’une femme prise entre le désir d’être, de faire, de représenter, d’accepter ou de se libérer. L’artiste ne tranche pas. Mais à travers ce modèle elle interroge la féminité et en filigrane le poids que fait porter sur elle le mâle. Et ce, au moment où Madeleine possède encore la grâce des choses qui se fanent et se taisent mais dont jaillissent des remugles innocemment coupables.
jean-paul gavard-perret
Pupa Neumann, La Madeleine de Gide, Artcurial, Paris, janvier 2017.