L’Orient reste pour Gaspar le moyen de de signifier concrètement et par des mots de chair, une expérience mystique de l’inexprimable,. Le poème en fixe « des vertiges (…) sans s’interrompre / les corps et les choses qu’un rien déchire ». En ce mouvement, les vocables renvoient à la primauté de la chair sur l’hallucination poétique. C’est pourquoi ils tournent le dos à Dieu au milieu de « la pudeur de la peau dans les herbes » avant qu’elle affronte une nouvelle fois le désert moins géographique qu’existentiel tout en offrant au mystère de la vie un sens.
Derrière le dos de Dieu est le nom donné à une région de Transylvanie orientale sur les hauts plateaux des Carpates. Les ancêtres de l’auteur en sont issus. D’où l’attrait du poète pour les déserts, scènes mythiques de son œuvre. Ils sont moins une étendue de sable qu’un paysage de roches nues symbole de la « désertation » de toute existence et de la confrontation de l’homme avec lui-même. Le livre est donc un nouveau retour au désert avec en lui « ce qui dévaste », avec aussi sa pureté, son silence absolu plus métaphorique que réel. Il permet à l’auteur d’y enraciner ses pensées au moment où dans un autre élan il se tourne vers Jérusalem lieu d’origine des religions chrétienne, juive et musulmane. L’auteur programme par ce détour un retour au langage par un point d’ancrage biblique plus imaginaire qu’orthodoxe.
Le Désert devient selon Gaspar le lieu abandonné par la première femme et le premier homme. Il sert d’ouverture à l’exploration d’une vérité qui échappe aux révélations. Prenant le relais de son précédent Patmos, ce nouveau livre est à la recherche du Verbe enfoui dans le parfait silence du désert. Entre néos et anéantissement le lieu permet de ne plus penser. L’auteur y « brûle les icônes de sa lente pensée », il se dissout dans l’espace, « comme l’eau et l’air » qui passe entre les rochers. Mais dans ce même élan il ferme les yeux non pour s’absenter du monde mais y monter un regard intérieur.
C’est pourquoi si le désert reste le lieu du (re)commencement et qu’à ce titre il est le lieu du Dieu et celui de son absence (par son vide), l’auteur le met à distance notamment dans la partie « Neuropoèmes » dédié à Jacques Fradin (chercheur en psycho-nutrition) qui a appris au poète le rôle d’une mentalisation programmée. Preuve qu’il est possible d’atteindre le Paradis, sans recours à aucun lieu. L’immensité du monde qu’ « imagent » les étendues désertiques d’Orient peut être dépassée par un art de vivre : « Essaye / essaye encore / d’aimer vraiment / d’aimer assez ». C’est la manière de s’ouvrir chaque jour et chaque nuit à la pensée la plus claire du monde. Dès lors où finit le désert de l’affect, toute la vie et toute la clarté peuvent se trouver Derrière le dos de Dieu : il suffit que l’amour qu’on lui porte soit remplacé par celui des hommes.
jean-paul gavard-perret
Lorand Gaspar, Derrière le dos de Dieu, Gallimard , 2016, 111 p. — 14,90 €.
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