La « nudité » du discours (pictural ou poétique) demeure toujours problématique dans la littérature et l’art. Chaque créateur — plus ou moins implicitement — l’affiche mais qu’en est-il au demeurant ? C’est ce que l’essai de Jean-Yves Pouilloux tente de cerner en ses études de Montaigne, Hollan, Proust, Queneau, Paulhan, Bouvier et quelques autres. Selon l’auteur, la question majeure que doit se poser un écrivain est la suivante : « Comment trouver une suite de mots articulés qui rassemble en une séquence unique l’intensité et l’infinie perception du monde ?”. C’est bien là l’idéal du littérateur (ou du plasticien avec d’autres armes). Chaque fois il tente d’atteindre « la plénitude multiple et la nécessité d’un déroulement temporel ». Ce rêve d’absolu, Pouilloux le synthétise dans son dernier texte « Sans titre » où le « je » se voudrait l’autre, tous les autres et aussi le monde qu’il envisage et dévisage.
Chaque œuvre s’essaye au « esse percipi » (être c’est être perçu) de Berkeley. Il s’agit de trouver non seulement la perception du monde dans l’instant vécu mais aussi la perception de la perception. S’abandonner au fleuve des sensations et des émotions est à la fois la grande ambition et la maladie de l’écriture et de l’art. C’est parce qu’ils n’y parviennent pas directement et qu’ils en souffrent que les créateurs s’y arriment.
L’instantané clôt et entoure l’épaisseur de l’expérience humaine et créatrice. Cet instant donné en sa plénitude incomparable semble échapper sans cesse à l’œuvre comme s’il y avait là un intouchable. Le déploiement de ce temps reste une vue de l’esprit mais il donne tout son prix à l’art ou à la littérature quand il et elle ne la bradent pas.
D’autant que le créateur — comme le souligne Pouilloux — se trompe souvent de stratégie : plutôt que de se laisser saisir par le monde qui viendrait l’envahir de son « éblouissante présence », il se précipite contre lui : dès lors, au lieu d’y plonger, il rebondit dessus. Pris — de plus — dans son langage forcément temporel, séquentiel il oublie d’attendre que ce langage lui-même s’ouvre en divers foyers de clarté. Certains des exemples choisis par l’essayiste en semblent bien loin. N’aurait-il pas fallu plutôt « gratter » du côté d’Artaud ou de Beckett côté littérature et Pollock ou Bram van Velde côté peinture ?
jean-paul gavard-perret
Jean-Yves Pouilloux, L’art et la formule, Gallimard, coll. L’Infini, 2016, 196 p. — 18,00 €.