Michèle Barrière, Meurtres trois étoiles

Pour­quoi s’en prendre à des chefs ?

On retrouve, pour cette enquête, Adrien Savoisy, le héros de L’Assassin de la Natio­nale 7. Il avait ren­con­tré Rebecca qui a par­tagé sa vie pen­dant quatre ans, jusqu’au moment où elle s’est ren­due en Alle­magne, contre l’avis de tous, pour défendre ses convic­tions. Il reprend invo­lon­tai­re­ment du ser­vice quand il est confronté à une série de faits navrants et tra­giques autour de la Mère Bra­zier.
Cette pré­sente enquête ouvre à l’auteur la pos­si­bi­lité de faire revivre ces Mères lyon­naises qui ont fait la renom­mée de la cui­sine locale. Ce vocable regroupe des femmes d’origine modeste, for­cées de s’installer à leur compte après avoir été cui­si­nières de grandes familles lyon­naises. Elles pro­po­saient une res­tau­ra­tion à la fois popu­laire et bour­geoise, simple et raf­fi­née, basée sur un ensemble de spé­cia­li­tés deve­nues indis­so­ciables de la répu­ta­tion gas­tro­no­mique de la ville. Cette situa­tion a sur­tout existé dans l’Entre-deux guerres où elles ont formé quelques-uns des res­tau­ra­teurs célèbres d’aujourd’hui comme Paul Bocuse, qui a été l’apprenti de la Mère Bra­zier, Georges Blanc, le petit-fils de la Mère Blanc…

Adrien Savoisy, à Mont­martre, reçoit des mau­vaises nou­velles de la part de Ber­nie Gun­ther. Celui-ci l’informe que Rebecca a dis­paru, cer­tai­ne­ment enfer­mée dans une de ces pri­sons clan­des­tines que les SS ouvrent depuis l’arrivée d’Hitler à la chan­cel­le­rie. Adrien, effon­dré, décide cepen­dant, pour ne plus dépri­mer, de s’occuper l’esprit de res­ter en contact avec Rebecca, par des lettres que Gun­ther lui trans­met­tra quand il l’aura retrou­vée.
Mais que lui racon­ter pour la dis­traire : “…pour chan­ger de ses sem­pi­ter­nels récits de cas­se­roles.” ? Il pense alors à un repor­tage sur les Mères lyon­naises, sur ces femmes qui font la renom­mée de la gas­tro­no­mie locale et par­ti­cu­liè­re­ment sur Eugé­nie Bra­zier qui vient d’obtenir deux fois trois étoiles au guide Miche­lin. En route pour Lyon, il fait étape chez Alice et Ger­trude, deux amies rési­dant dans un vil­lage proche de Bel­ley pour savou­rer les délices culi­naires de l’hôtel-restaurant Per­nol­let. Pour aider Alice, il s’initie au jar­di­nage dans la dou­leur et sur­prend une scène étrange : un mar­mi­ton, pen­dant le coup de feu, se per­met de griller une ciga­rette sans s’émouvoir des remon­trances de Per­nol­let.
Arrivé à Lyon, il apprend que la Mère Bra­zier est à son res­tau­rant du col de la Luère, lais­sant son éta­blis­se­ment de la rue Royale à son fils Gas­ton. Mais foin d’interview. Elle le consi­dère comme un oisif et le met au défi de connaître le vrai tra­vail, de soi­gner les cochons, traire les vaches, éplu­cher des légumes… Pen­dant ces tra­vaux épui­sants, il se lie d’amitié avec Aram, un jeune cui­si­nier d’origine armé­nienne. Celui-ci lui fait décou­vrir la cui­sine de son pays à tra­vers ce que confec­tionne Yéva, sa cou­sine dans son micro –res­tau­rant.
Et les évé­ne­ments se dra­ma­tisent lorsque la Mère apprend que son fils s’est fait agres­ser et qu’il est hos­pi­ta­lisé. Puis, elle reçoit des com­mandes mons­trueuses en quan­ti­tés, com­mandes qu’elle n’a jamais pas­sées. Aram, qui rem­place Gas­ton et se dis­tingue en cui­sine, est retrouvé assas­siné dans une traboule…

Michèle Bar­rière conjugue avec brio un volet his­to­rique, la région lyon­naise du début des années 1930, l’émergence du nazisme, le monde de la res­tau­ra­tion du plus petit au plus grand avec une intrigue poli­cière. Si celle-ci semble diluée dans les diverses péri­pé­ties culi­naires et le quo­ti­dien des gâte-sauces, elle n’en n’est pas moins bien trous­sée, réser­vant son lot de rebon­dis­se­ments et une chute fort bien ame­née.
La roman­cière met en scène, briè­ve­ment, Ber­nie Gun­ther. Est-ce un homo­logue du célèbre héros de Phi­lip Kerr ? On ne peut en dou­ter car tout concorde avec le titre d’inspecteur à l’Alexanderplatz. Mais elle fait ren­con­trer plus lon­gue­ment Cur­nonsky, le célèbre cri­tique culi­naire qui com­mença sa car­rière comme « nègre » de Willy, le pre­mier mari de Colette, Edmond Locard, un des fon­da­teurs de la police scien­ti­fique dans un rôle de gour­mand, Édouard Her­riot, une figure poli­tique majeure de Lyon…

Avec Meurtres trois étoiles, Michèle Bar­rière enchante son lec­teur gas­tro­nome avec une évo­ca­tion des fon­de­ments de la cui­sine lyon­naise, un héros atta­chant bien mal­mené dans une intrigue bien menée.

serge per­raud

Michèle Bar­rière, Meurtres trois étoiles, inédit, Le Livre de Poche n° 33847, juin 2016, 256 p. – 12,10 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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