Pourquoi s’en prendre à des chefs ?
On retrouve, pour cette enquête, Adrien Savoisy, le héros de L’Assassin de la Nationale 7. Il avait rencontré Rebecca qui a partagé sa vie pendant quatre ans, jusqu’au moment où elle s’est rendue en Allemagne, contre l’avis de tous, pour défendre ses convictions. Il reprend involontairement du service quand il est confronté à une série de faits navrants et tragiques autour de la Mère Brazier.
Cette présente enquête ouvre à l’auteur la possibilité de faire revivre ces Mères lyonnaises qui ont fait la renommée de la cuisine locale. Ce vocable regroupe des femmes d’origine modeste, forcées de s’installer à leur compte après avoir été cuisinières de grandes familles lyonnaises. Elles proposaient une restauration à la fois populaire et bourgeoise, simple et raffinée, basée sur un ensemble de spécialités devenues indissociables de la réputation gastronomique de la ville. Cette situation a surtout existé dans l’Entre-deux guerres où elles ont formé quelques-uns des restaurateurs célèbres d’aujourd’hui comme Paul Bocuse, qui a été l’apprenti de la Mère Brazier, Georges Blanc, le petit-fils de la Mère Blanc…
Adrien Savoisy, à Montmartre, reçoit des mauvaises nouvelles de la part de Bernie Gunther. Celui-ci l’informe que Rebecca a disparu, certainement enfermée dans une de ces prisons clandestines que les SS ouvrent depuis l’arrivée d’Hitler à la chancellerie. Adrien, effondré, décide cependant, pour ne plus déprimer, de s’occuper l’esprit de rester en contact avec Rebecca, par des lettres que Gunther lui transmettra quand il l’aura retrouvée.
Mais que lui raconter pour la distraire : “…pour changer de ses sempiternels récits de casseroles.” ? Il pense alors à un reportage sur les Mères lyonnaises, sur ces femmes qui font la renommée de la gastronomie locale et particulièrement sur Eugénie Brazier qui vient d’obtenir deux fois trois étoiles au guide Michelin. En route pour Lyon, il fait étape chez Alice et Gertrude, deux amies résidant dans un village proche de Belley pour savourer les délices culinaires de l’hôtel-restaurant Pernollet. Pour aider Alice, il s’initie au jardinage dans la douleur et surprend une scène étrange : un marmiton, pendant le coup de feu, se permet de griller une cigarette sans s’émouvoir des remontrances de Pernollet.
Arrivé à Lyon, il apprend que la Mère Brazier est à son restaurant du col de la Luère, laissant son établissement de la rue Royale à son fils Gaston. Mais foin d’interview. Elle le considère comme un oisif et le met au défi de connaître le vrai travail, de soigner les cochons, traire les vaches, éplucher des légumes… Pendant ces travaux épuisants, il se lie d’amitié avec Aram, un jeune cuisinier d’origine arménienne. Celui-ci lui fait découvrir la cuisine de son pays à travers ce que confectionne Yéva, sa cousine dans son micro –restaurant.
Et les événements se dramatisent lorsque la Mère apprend que son fils s’est fait agresser et qu’il est hospitalisé. Puis, elle reçoit des commandes monstrueuses en quantités, commandes qu’elle n’a jamais passées. Aram, qui remplace Gaston et se distingue en cuisine, est retrouvé assassiné dans une traboule…
Michèle Barrière conjugue avec brio un volet historique, la région lyonnaise du début des années 1930, l’émergence du nazisme, le monde de la restauration du plus petit au plus grand avec une intrigue policière. Si celle-ci semble diluée dans les diverses péripéties culinaires et le quotidien des gâte-sauces, elle n’en n’est pas moins bien troussée, réservant son lot de rebondissements et une chute fort bien amenée.
La romancière met en scène, brièvement, Bernie Gunther. Est-ce un homologue du célèbre héros de Philip Kerr ? On ne peut en douter car tout concorde avec le titre d’inspecteur à l’Alexanderplatz. Mais elle fait rencontrer plus longuement Curnonsky, le célèbre critique culinaire qui commença sa carrière comme « nègre » de Willy, le premier mari de Colette, Edmond Locard, un des fondateurs de la police scientifique dans un rôle de gourmand, Édouard Herriot, une figure politique majeure de Lyon…
Avec Meurtres trois étoiles, Michèle Barrière enchante son lecteur gastronome avec une évocation des fondements de la cuisine lyonnaise, un héros attachant bien malmené dans une intrigue bien menée.
serge perraud
Michèle Barrière, Meurtres trois étoiles, inédit, Le Livre de Poche n° 33847, juin 2016, 256 p. – 12,10 €.