Christian Bobin, Louise Amour

Il y a la mau­vaise misan­thro­pie et la bonne misan­thro­pie. Il y a les méchants et les gentils

Il y a ceux qui détestent le monde et que le monde déteste en retour, et ceux qui détestent le monde mais qui s’arrangent pour qu’on les aime bien. Chris­tian Bobin est un bon misan­thrope. Chris­tian Bobin méprise l’humanité, mais il aime les petits oiseaux, les petites fleurs, les petits nuages et, bien entendu, les petits enfants (qui ne sont pas encore tout à fait humains, comme cha­cun sait). Chris­tian Bobin se moque de nous. Louise Amour est, comme son nom l’indique dis­crè­te­ment, une his­toire d’amour, racon­tée à la pre­mière per­sonne par un nar­ra­teur dont le ton est si proche de tous les autres livres de Chris­tian Bobin qu’on ne prend aucun risque à pré­tendre qu’il s’agit de l’auteur lui-même. Chris­tian Bobin, d’ailleurs, serait bien en peine d’inventer de vrais per­son­nages roma­nesques, ou de vraies intrigues.

Chris­tian Bobin aurait voulu être poète, mais il sait bien que la poé­sie se vend vrai­ment très mal, alors il bri­cole vite une petite his­toire pour nous four­guer son lyrisme inavoué (et à vrai dire inavouable) comme si c’était du roman. Chris­tian Bobin se moque de nous. Pour faire court, un jeune théo­lo­gien tombe amou­reux. Un type qui ne nous aime pas, donc, qui passe sa vie dans les livres et le dégoût du monde, et qui s’offre, en plus des oiseaux, des fleurs, des nuages et des enfants, l’alibi d’aimer Dieu. C’est sans doute parce qu’il est encore jeune que ce théologien-là ignore que le Christ auquel il fait si sou­vent réfé­rence a passé plus de temps à nous deman­der de nous aimer les uns les autres qu’à nous deman­der de l’aimer lui. Bien sûr l’amour d’une femme va mal­gré tout per­tur­ber son exis­tence. Il pren­dra soin de nous dire qu’en fait cette femme est un ange, mais bon, c’est quand même une femme, et qui vit à Paris. Enfer et damnation.

L’auteur-narrateur aime les fleurs, pas Paris. D’abord il n’aime pas les gens, mais en plus Paris, vous savez, c’est super­fi­ciel. Le théo­lo­gien résume les tares de la métro­pole contem­po­raine dans une for­mule lapi­daire qui fera date dans l’histoire de la lit­té­ra­ture : « vendre, ache­ter, paraître, écra­ser ». Quel don de péné­tra­tion. Ensuite vient la récep­tion mon­daine. Pas­sage obligé de tous les contemp­teurs du monde bri­co­leurs de soi-disant romans, la récep­tion mon­daine sert à nous mon­trer que, vrai­ment, les gens sont vains et pré­ten­tieux, c’est fou, fou, fou ! Ce qui m’étonne, moi, c’est que tous ces scri­bouillards ne se ren­contrent jamais dans ce genre d’événements. Il y en a tel­le­ment qui font la preuve de leur propre valeur et de leur indif­fé­rence à l’égard des vani­tés de ce monde, en glis­sant dans leurs récits ces scènes par­fai­te­ment iden­tiques entre elles, qu’on se dit que ce serait chouette, allez, pour une fois, que deux types vrai­ment biens boivent le même cham­pagne au même moment. Allons plus loin : en ras­sem­blant tous les auteurs vivants qui ont décrié les mon­da­ni­tés pari­siennes, on pour­rait orga­ni­ser une soi­rée inoubliable !

Passés ces mor­ceaux de bra­voure roma­nesque, le théo­lo­gien et l’ange se pro­mènent un peu à la cam­pagne. Fin des futi­li­tés urbaines, retour des oiseaux et des nuages. On s’ennuie un peu. Et puis l’ange meurt. C’était fatal. Pour que ne se pose jamais la ques­tion de la décla­ra­tion d’impôts ou du rem­bour­se­ment de la bagnole, que l’amour reste éthéré et roman­tique, il fal­lait que l’ange meure. A ce moment du livre on vou­drait bien être ému. Dans un élan de cette cha­rité auquel l’auteur n’a rien com­pris, celle qui nous enjoint d’aimer nos sem­blables mal­gré leurs fai­blesses et leur tares, on se dit que son amour est mort et qu’on vou­drait bien pleu­rer avec lui. Mais on n’y par­vient pas. Il a tant d’afféterie, il est si poseur, on devine si bien le parti qu’il va pou­voir tirer de cette mort à laquelle par ailleurs tout le monde s’attendait, que non, déci­dé­ment, on ne pleure pas. Et de fait ça ne rate pas. Le livre aurait pu s’arrêter là, mais pour­quoi se pri­ver d’un petit cou­plet sur la mort ? Ça cadre si bien avec tous les cou­plets pré­cé­dents, sur la vanité des hommes et tout ça. Alors Chris­tian Bobin nous en donne pour notre argent.

C’est vrai que tout retiré qu’il soit dans une cam­pagne loin­taine, Chris­tian Bobin se porte bien au pal­ma­rès des ventes de livres. Chris­tian Bobin nous en donne pour notre argent parce qu’il en a besoin pour vivre. Son­gez un peu : sans ses droits d’auteur, peut-être qu’il serait obligé de se com­pro­mettre avec la société des hommes ! De tra­vailler ! C’est pour lui épar­gner cette peine, sans doute, que tant de quin­qua­gé­naires pâmées achètent ses livres. Elles ont tort. La vraie cha­rité consis­te­rait à le sor­tir de son aveuglement.

Jean Baretti

Chris­tian Bobin, Louise Amour, Gal­li­mard, 2004, 141 p. — 13,00 €.

 
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1 Comment

Filed under On jette !

One Response to Christian Bobin, Louise Amour

  1. PORTELLI

    Ce pas­sage existe-t-il dans Louise Amour«” Cer­tains êtres sont comme le lilas, qui sature de son par­fum, jour et nuit, l’air dans lequel il trempe, condam­nant ceux qui entrent dans son cercle embaumé a éprou­ver aus­si­tôt a une ivresse intime qui fait s’entrechoquer, comme des­verres dr crys­tal de Bohême, les atomes de leurs âmes ”

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