Un artiste un peu trop baroque ?
L’ouvrage de Laurent Dandrieu décrit la rencontre infructueuse entre un génie du baroque, le Bernin, et le plus grand roi du XVIIe siècle, Louis XIV. L’affaire est vaguement connue. On admire le buste du Roi Soleil à Versailles ; on se souvient qu’une statue équestre a déplu et a fini au fond du parc… Mais que sait-on vraiment des coulisses du séjour du grand artiste à Paris ? Le livre, écrit avec élégance et clarté, lève le voile sur cette péripétie qui en dit long sur l’époque, les ambitions personnelles, les intrigues de Cour, l’art français et la monarchie louis-quatorzienne.
Le jeune monarque, poussé par son esprit baroque et sa soif de gloire, exige et obtient du pape qu’il se détache de son artiste préféré pour le laisser venir à Paris. Le Bernin reçoit en effet comme mission de réaliser une rénovation et une transformation du Louvre. L’esprit fécond de l’architecte-sculpteur se met en marche et, tout en étant sollicité de toutes parts, fournit les plans d’un palais à l’italienne.
Mais les obstacles sont nombreux sur sa route. Sa franchise, son italianité, ses critiques à l’encontre du classicisme français et son don inimitable pour se faire des ennemis braquent une partie du monde artistique et courtisan. L’artiste bénéficie certes de la faveur royale mais que peut-il faire devant l’hostilité du tout-puissant ministre Colbert et de son âme damnée, Charles Perrault ? Ils conjuguent leurs efforts pour faire échouer le projet qui, comme le note l’auteur, n’aurait sans doute pas trouvé sa place dans un Paris qui ne ressemble guère à Rome.
Le Bernin finira pas jeter l’éponge et par quitter la capitale française non sans y laisser une merveille (le buste royal) mais aussi un esprit qui parviendra à s’insinuer dans la rigueur du classicisme français.
Laurent Dandrieu ne fait pas du Bernin une victime innocente des cabales. Son obstination à refuser à acclimater le gout italien aux exigences françaises (ce que parviendra à faire Lully) a lourdement pesé. Trop italien en fait ce cher Bernin… Aucun art ne peut s’extraire de la nation et de ses goûts. C’est la leçon à tirer de ce livre remarquable en tous points qui nous apprend beaucoup sur le XVIIe siècle mais aussi sur la France.
frederic le moal
Laurent Dandrieu, Le roi et l’architecte. Louis XIV, le Bernin et la fabrique de la gloire, Cerf éditions, novembre 2015, 197 p. — 12,00 €.