Marcher dans le réel : entretien avec la poétesse Camille Loivier (Joubarde)

Camille Loi­vier ne se pré­oc­cupe pas du ciel. Il y a tant de choses à dire, à faire, à cares­ser, à sou­le­ver ici-même. D’où l’emprise de son oeuvre poé­tique capable d’incarner nos régions fan­tômes et afin que nos pieds touchent le réel et que nous soyons capables de cueillir quelques bouts d’encore comme Jou­barde (chro­ni­qué sur LeLit­té­raire) l’a récem­ment prouvé.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La vue de mes livres dans la biblio­thèque, et le chant des oiseaux.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Ils sont en cours.

A quoi avez-vous renoncé ?
A tous les métiers excepté celui d’écrire.

D’où venez-vous ?
D’ici-bas. Et je n’irai pas plus loin. Pas de racines pour­tant, des rhi­zomes qui sortent de terre, grimpent, s’enchevêtrent, s’enfoncent à nou­veau, comme le banian, ou bien des algues, des lichens.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?

J’avais l’impression que je devais écrire, c’était évident, donc rien à pro­cla­mer, ni à défendre, et peu à peu je me suis lais­sée envahir.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Arro­ser les plantes.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes ?
Ce n’est pas à moi de répondre. Je suis à l’intérieur de ce que j’écris, pas à l’extérieur. Je peux et même dois prendre une dis­tance avec ce que je fais mais cela n’impose pas de me com­pa­rer à. Je cherche plu­tôt des affi­ni­tés, elles me nour­rissent, mais les écri­tures qui dif­fèrent de la mienne m’apportent aussi beau­coup (peut-être plus), Tout, a priori, peut dans mes lec­tures m’associer aux autres poètes. On pour­rait par­ler de nébu­leuse. Je n’aime pas trop cette volonté d’identifier, de clas­ser, du même au même, il me semble qu’une part de leurre y entre.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
La chambre de Van Gogh, quand je la vis je ne com­pris pas pour­quoi tous les meubles étaient dif­formes, j’ai eu un sen­ti­ment de ver­tige, comme absor­bée par le milieu. Il m’a fallu long­temps pour remettre dans l’ordre, accep­ter cette vision.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je ne me sou­viens pas trop de mes pre­mières lec­tures, de l’ampleur qu’elles ont pris. Des poèmes de Vic­tor Hugo, de Gérard de Ner­val puis plus tar­di­ve­ment d’Emily Dickin­son, et aussi les romans de Vio­lette Leduc. Tous ces livres lus et relus, que je ne peux plus ouvrir. Il me revient main­te­nant qu’une de mes pre­mières lec­tures fut le Deca­me­ron de Boc­cace, les trois volumes, cha­pardé un par un.

Pour­quoi votre atti­rance vers la poé­sie ?
La lec­ture de poé­sie m’a amené à la poé­sie car elle est la plus proche de vivre. Elle est liée à l’émotion qui est le mou­ve­ment de l’existence, la rela­tion entre les vivants, les choses, soi.
Pour son dépouille­ment, sa sim­pli­cité ; un moment de retrait dans les mots qui fait caisse de réso­nances. On entend mieux, on res­pire un peu, replié dans le monde mais non-hors. La poé­sie a aussi un fond sou­ter­rain de prose qui est là profond.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Scar­latti, Rameau, Cou­pe­rin, Natha­lie Stutzman.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“La leçon de chant » et autres nou­velles de Kathe­rine Mans­field, “Je ne sais quelles gens” de Wis­lawa Szym­borska, les proses d’Antoine Emaz ; “La ligne d’ombre” de Joseph Conrad mais ce que je lis le plus ce sont les écrits de Wang Wen-hsing, mais c’est aussi parce que je les tra­duits. Du coup c’est une autre ques­tion (voir la dernière).

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Un temps pour vivre, un temps pour mou­rir” de Hou Hsiao-Hsien.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Taipei

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je connais la plu­part des poètes que je lis. C’est une chance car je lis en enten­dant leur voix, avec leur voix. J’entends leur rythme, leur atten­tion aux mots. C’est très dif­fé­rent d’un livre dont on doit recréer de toutes pièces la voix ; peut-être faudrait-il apprendre à lire avec un livre dont on connaît la voix de celui qui l’a écrit, c’était un peu cela les contes aussi. Je me sens donc proche des poètes que je lis : Valé­rie Rou­zeau, Antoine Emaz, James Sacré, Chris­tiane Ves­chambre, Fabienne Cour­tade et j’en oublie Mais aussi des artistes comme Nélida Medina qui a donné une gra­vure à Jou­barbe, je me sens proche de sa sen­si­bi­lité à fleur de peau, à vif, et aussi du fait qu’elle tra­vaille sur la zone d’indiscernabilité entre les vivants (ani­maux, plantes, minéraux).

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une plante.

Que défendez-vous ?
En bref, la rela­tion, au sens d’Edouard Glis­sant et le vivant, mais aussi “les débris de pierres et de tuiles” comme disait le phi­lo­sophe Wang Yang­ming. Ce lien est pas mal endom­magé. Toute action qui vise à défendre le vivant est méri­toire. Et dans cette lutte, les mots ont leur impor­tance. Le prêt-à-porter lin­guis­tique bat son plein : chaque jour se deman­der : et ce mot-là qui veut pas­ser par ma bouche, que veut-il dire au juste ? Et par la même occa­sion, cet ali­ment qui passe par ma bouche, que contient-il ? de quoi est-il fait ? Com­bien de pro­duits chi­miques ? de nano, d’OGM ? Et qu’est-ce que cela fait quand cela se mêle aux organes, muscles, cer­veau ? pour­quoi cela se dur­cit, pour­quoi cela enfle? Le roman le plus célèbre de l’écrivain chi­nois Lu Xun, “Le jour­nal d’un fou”, se ter­mine ainsi : “Sau­vons les enfants”. On peut le relire encore, il est tou­jours une méta­phore de ce que l’on vit. Je défends la pos­si­bi­lité de boire l’eau des rivières, des puits, des pluies, et de res­pi­rer de l’air. Est-ce trop demander ?

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Pas de Lacan dans ma vie;

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Voir la ques­tion : quel est le livre que vous aimez relire ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tiens réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com,  le 14 sep­tembre 2015.

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