Camille Loivier, Joubarde

Caisse claire

Camille Loi­vier avait publié en 2009 un ensemble remar­quable : Il est nuit chez Tara­buste. Celle qui dirige la revue Neige d’août, consa­crée au lyrisme et à l’Extrême-Orient, réci­dive aujourd’hui avec Jou­barde. Tra­duc­trice du chi­nois et spé­cia­liste de lit­té­ra­ture taï­wa­naise, son écri­ture s’en ins­pire et s’inscrit hier comme aujourd’hui dans ce qu’elle écri­vait dans Il est nuit : « petit à petit tu t’es vidé de ton être à qui la faute cette sen­sa­tion du sable qui coule plus vite quand il arrive vers sa fin le poème devient peut-être quand face à la vie il ne peut rien ». 
Cette sen­sa­tion de l’ineffable passe — en par­ti­cu­lier dans Jou­barde - du réel immé­diat vers la rêve­rie. Mais celle-ci devient une réflexion sur le tran­si­toire et la fra­gi­lité, comme par exemple dans cette évo­ca­tion du passé : « il y avait aussi une cour ven­tée / de béton gris où rien ne pousse / on me l’a pro­po­sée (je ne m’y / suis pas habi­tuée) / posée avec un très petit bagage / de terre, au mini­mum / juste devant la porte de la cathé­drale / j’ai vu se suc­cé­der mariages /et enter­re­ments / — recom­men­çait le trem­ble­ment — / des cloches méca­niques ». Et plus loin : « la sœur venait admirer/ les belles robes des mariées / ou s’en moquer / une heure après / c’était quelqu’un qu’on enter­rait / la vie était ainsi résu­mée ». A tra­vers le « peu » et le presque déri­soires, existe tou­jours la conscience nette de la séparation.

Dans une telle langue, le cri n’a pas droit de citer et pour­tant il secoue le poème. La poé­tesse joue de l’aporie, coupe toute des­crip­tion super­fé­ta­toire. A la cou­leur locale fait place le loin­tain de la proxi­mité : mais dans ce ren­ver­se­ment, elle est plus pré­gnante. Preuve qu’en dépit de ses connais­sances foraines la poé­tesse peut affir­mer : « je ne parle aucune langue mieux que la mienne (…) je sors pour entrer dans toutes les langues / et ne pas com­prendre / ne pas com­prendre et / res­ter cachée à l’intérieur du tam­bour / pour juste en res­sen­tir les vibra­tions ». Dès lors, chaque poème devient une caisse claire capable de faire son­ner le monde même lorsqu’il n’en reste plus rien ou presque. D’où l’importance d’une écri­ture de la quête de soi et du monde, du pas­sage de la joie à la peine sans tran­si­tion, capable de rete­nir tout ce qui se dérobe.

Lire notre entre­tien avec l’auteure 

jean-paul gavard-perret

Camille Loi­vier, Jou­barde, Edi­tions Poten­tille, 2015.

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