Sexe, drogue et rock’n roll à tous les étages
Incroyable sourire d’Escobar en couverture du livre. 1976, Escobar est arrêté. Il porte un panneau d’identification et semble nous regarder. Il demande : « Plomo o plata ? » : le plomb ou l’argent? La puissance est en marche.
La première saison de la série télévisée « Narcos », lancée fin août 2015 par le géant américain Netflix, a été consacrée à Escobar. En 2012, la télévision colombienne avait diffusée « Pablo Escobar, patron du mal », une série d’une centaine d’épisodes. Une vingtaine d’années après sa mort, le trafiquant de drogue colombien n’a pas fini de nourrir les imaginaires. Sa vie, son nom vont continuer à inspirer scénaristes et producteurs. L’étrange fascination qu’il continue de susciter est une ressource indéniable. Thierry Noël, historien spécialiste de l’Amérique latine, a consacré au trafiquant une biographie aussi captivante qu’essentielle, si on veut bien aller un peu au delà des images, et retourner le mythe pour le comprendre.
La vie de Pablo Escobar contient d’abord tous les ingrédients d’une bonne histoire. Ne boudons pas le plaisir de suivre l’ascension d’une petite frappe, d’un gatillero des faubourgs de Medellín parvenu au sommet de la pègre. Son monde premier est celui des caïds, de la violence directe et spontanée. Le bandit devient contrebandier et rencontre la cocaïne, dont le marché est en pleine émergence. Rapidement, Pablo Escobar devient un acteur incontournable du trafic. En multipliant contacts et réseaux, avec un indéniable talent de logisticien et de planificateur, il est parvenu à définir des routes et des moyens de fournir l’immense marché nord-américain.
Les bénéfices sont gigantesques, les profits rapides, le cash coule à flot. Les avions décollent, les vedettes chargées à blocs livrent leurs cargaison sur les côtes de Floride. Les portraits de Griselda Blanco, « reine de la cocaïne » ou de Carlos Lehder, sur son île de Norman’s Cay sont hallucinants. C’est sexe, drogue et rock’n roll à tous les étages. La vie de Pablo Escobar est tissée par la violence, par le crime : intimidations, bombes, représailles, règlements de comptes, coups de mains et éliminations. Les morts se comptent par milliers, le bilan précis reste à faire. A 44 ans, Pablo Escobar est abattu par la police après une longue traque, qui a nécessité l’emploi de troupes d’élites, de moyens techniques ultra-modernes, et la forme d’une coopération internationale. Sa vie est un récit d’aventures qui s’achève par un polar.
Il peut apparaître comme un personnage complexe, ambigu, à plusieurs visages. Mais non : Escobar n’avait qu’un visage. Il était un sale type, un hypocrite. Un criminel sans foi ni loi capable de chanter des berceuses le soir à son fils. Un monstre sanguinaire qui s’achetait une petite bonne conscience et une réputation en construisant écoles et logements pour les démunis. Attentif aux médias et aux formes modernes de communication, il a su construire une image, forger un discours adressé aux plus vulnérables. Nourri par les films de gangsters, il a été l’artisan de son propre mythe. Il a survécu à sa mort. Cette réussite est fascinante.
Face à de telles charges symboliques et imaginaires, on peut comprendre la réticence de nombreux historiens quand il s’agit d’aborder des figures comme celles d’Escobar. Ils la laissent aux autres, journalistes et conteurs. Le risque de tomber dans le biographique anecdotique ou divertissant est lourd ; impardonnable dans le champ universitaire. Pourtant, et c’est la dimension la plus forte de l’ouvrage, Thierry Noël parvient à nous montrer, attentif aux détails, qu’il n’y a rien dans la vie d’Escobar qui ne soit sérieux, essentiel, significatif. Escobar « a constitué une sorte de révélateur des contradictions et des inégalités sociales profondes des sociétés latino-américaines. Il en a même été (…) le catalyseur ». La vie d’Escobar s’est inscrite dans des réalités sociales, politiques et géo-politiques, avec lesquelles il a su jouer, et perdre.
Le poids des Etats-Unis et les ambivalences de leur politique extérieure sont déterminants pour comprendre la trajectoire du bandit colombien. La CIA a tiré profit des capacités et de la clandestinité des réseaux et des flux des narco-trafiquants. Pour les Etats-Unis, Escobar était un ennemi, et un partenaire nécessaire dans la lutte contre le communisme, notamment au Nicaragua. Castro, Reagan, Noriega ont chacun joué leur partition dans le jeu diplomatique de l’Amérique centrale, dans lequel le trafic de cocaïne était loin d’être accessoire.
Comprendre la vie d’Escobar, c’est, hélas !, comprendre la Colombie et la terrible décennie chaotique qui a suivi la mort du trafiquant. Comprendre la vie d’Escobar, c’est aussi comprendre l’atomisation des trafics de drogue et l’affirmation actuelle des cartels du nord du Mexique qu’Escobar a contribué à faire émerger. Oui, à travers Pablo Escobar, trafiquant de cocaïne, Thierry Noël est parvenu à nous dire une part importante de l’Amérique latine contemporaine, de notre monde.
camille aranyossy
Thierry Noël, Pablo Escobar, Trafiquant de cocaïne, Editions Vendémiaire, Paris, juin 2015, 377 p. — 24,00 €.
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