Les lys et la république. Henri, comte de Chambord. 1820–1883 (dir. Emmanuel de Waresquiel)

Le per­dant de l’histoire

L’his­toire est impla­cable pour les per­dants. Mais est-elle injuste ? En ce qui concerne le comte de Cham­bord, qui aurait dû régner sous le nom d’Henri V, elle est sévère et avec jus­tice. C’est ce que démontre la pas­sion­nante publi­ca­tion d’une jour­née d’études consa­crée à ce per­son­nage encore méconnu, sous la direc­tion d’Emmanuel de Wares­quiel. Petit-fils de Charles X, il est « l’enfant du miracle » né quelques mois après l’assassinat de son père le duc de Berry. Sa nais­sance, qui sauve de l’extinction la dynas­tie des Bour­bons déjà mal au point, pro­voque une vague d’enthousiasme dans le pays et sur­tout dans le monde légi­ti­miste. Mais suite à la révo­lu­tion de 1830, il accom­pagne son grand-père sur les routes de l’exil, dans un périple dont on ne sait s’il fut digne ou pathé­tique (Hilaire Mul­ton). Il est vrai qu’avec une figure tuté­laire telle que l’ancien comte d’Artois, véri­table catas­trophe ambu­lante pour la monar­chie, dont l’action poli­tique – ou l’inaction – n’engendra que des catas­trophes, le petit duc de Bor­deaux com­men­çait mal sa carrière.

Plu­sieurs articles se penchent sur les deux grandes ten­ta­tives de res­tau­ra­tion. En 1871, depuis le châ­teau de Cham­bord dont il a hérité par sous­crip­tion (Bruno Cen­to­rame), il lance son fameux mani­feste du dra­peau blanc. Il y exprime son atta­che­ment irré­vo­cable pour le dra­peau tra­di­tion­nel de la royauté, alors que la France a tra­versé près d’un siècle de révo­lu­tions, d’empires, de monar­chies consti­tu­tion­nelles. Il le fait avec cette for­mule pas­sée à la pos­té­rité, véri­table non sens poli­tique : « Mon prin­cipe est tout, ma per­sonne est rien. ». Tout cela avant de par­tir… pour Bruxelles dans l’attente des évé­ne­ments (Daniel de Montplaisir) !

Nouvel échec en 1873 quand, pré­sent à Ver­sailles en rasant les murs, il espère un retrait du pré­sident Mac Mahon. Pour­tant, la res­tau­ra­tion aurait dû réus­sir, plu­sieurs préa­lables ayant été négo­ciés : fusion avec les Orléans, conces­sions sur le droit héré­di­taire et la future consti­tu­tion. Mais tou­jours le même refus sur le dra­peau tri­co­lore qui fait tout échouer, tan­dis que Mac Mahon (l’homme du « j’y suis, j’y reste ») refuse de s’écarter (Patrick de Gme­line). Soyons hon­nête, Cham­bord n’a pas été aidé par les divi­sions des dépu­tés entre légi­ti­mi­nisme et orléa­nisme, par l’absence d’un vrai chef monar­chiste à la Chambre capable de manœu­vrer avec fer­meté et habi­leté, par la pous­sée répu­bli­caine qui déjà se fait sen­tir et aussi par les lourds héri­tages poli­tiques qui pèsent sur la France.
Quoi qu’il en soit, la res­pon­sa­bi­lité de Cham­bord reste écra­sante dans l’échec de la res­tau­ra­tion alors qu’en 1871 le pays l’aurait accep­tée. Digne, il l’a été. Et il y a bien une sorte de majesté dans cet homme qui refuse de tran­si­ger sur ce qui lui paraît non négo­ciable. Oui, on a bien affaire à un « roman­tisme du déses­poir », selon la belle for­mule d’Emmanuel de Wares­quiel, dans sa per­sonne et la mémoire qui en est restée.

Cela ne fait pas un homme poli­tique, et encore moins un homme d’Etat. N’est-ce pas là le drame de la monar­chie des der­niers Bour­bons, cette absence de réa­lisme poli­tique, de capa­cité d’action et de refus de se com­pro­mettre ? Henri IV lui n’hésita pas, ou rare­ment. Paris valait bien une messe et la monar­chie un drapeau.

fre­de­ric le moal

Les lys et la répu­blique. Henri, comte de Cham­bord. 1820–1883, sous la direc­tion d’Emmanuel de Wares­quiel, Tal­lan­dier, juin 2015, 268 p., 20.50 €

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