L’histoire est implacable pour les perdants. Mais est-elle injuste ? En ce qui concerne le comte de Chambord, qui aurait dû régner sous le nom d’Henri V, elle est sévère et avec justice. C’est ce que démontre la passionnante publication d’une journée d’études consacrée à ce personnage encore méconnu, sous la direction d’Emmanuel de Waresquiel. Petit-fils de Charles X, il est « l’enfant du miracle » né quelques mois après l’assassinat de son père le duc de Berry. Sa naissance, qui sauve de l’extinction la dynastie des Bourbons déjà mal au point, provoque une vague d’enthousiasme dans le pays et surtout dans le monde légitimiste. Mais suite à la révolution de 1830, il accompagne son grand-père sur les routes de l’exil, dans un périple dont on ne sait s’il fut digne ou pathétique (Hilaire Multon). Il est vrai qu’avec une figure tutélaire telle que l’ancien comte d’Artois, véritable catastrophe ambulante pour la monarchie, dont l’action politique – ou l’inaction – n’engendra que des catastrophes, le petit duc de Bordeaux commençait mal sa carrière.
Plusieurs articles se penchent sur les deux grandes tentatives de restauration. En 1871, depuis le château de Chambord dont il a hérité par souscription (Bruno Centorame), il lance son fameux manifeste du drapeau blanc. Il y exprime son attachement irrévocable pour le drapeau traditionnel de la royauté, alors que la France a traversé près d’un siècle de révolutions, d’empires, de monarchies constitutionnelles. Il le fait avec cette formule passée à la postérité, véritable non sens politique : « Mon principe est tout, ma personne est rien. ». Tout cela avant de partir… pour Bruxelles dans l’attente des événements (Daniel de Montplaisir) !
Nouvel échec en 1873 quand, présent à Versailles en rasant les murs, il espère un retrait du président Mac Mahon. Pourtant, la restauration aurait dû réussir, plusieurs préalables ayant été négociés : fusion avec les Orléans, concessions sur le droit héréditaire et la future constitution. Mais toujours le même refus sur le drapeau tricolore qui fait tout échouer, tandis que Mac Mahon (l’homme du « j’y suis, j’y reste ») refuse de s’écarter (Patrick de Gmeline). Soyons honnête, Chambord n’a pas été aidé par les divisions des députés entre légitiminisme et orléanisme, par l’absence d’un vrai chef monarchiste à la Chambre capable de manœuvrer avec fermeté et habileté, par la poussée républicaine qui déjà se fait sentir et aussi par les lourds héritages politiques qui pèsent sur la France.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité de Chambord reste écrasante dans l’échec de la restauration alors qu’en 1871 le pays l’aurait acceptée. Digne, il l’a été. Et il y a bien une sorte de majesté dans cet homme qui refuse de transiger sur ce qui lui paraît non négociable. Oui, on a bien affaire à un « romantisme du désespoir », selon la belle formule d’Emmanuel de Waresquiel, dans sa personne et la mémoire qui en est restée.
Cela ne fait pas un homme politique, et encore moins un homme d’Etat. N’est-ce pas là le drame de la monarchie des derniers Bourbons, cette absence de réalisme politique, de capacité d’action et de refus de se compromettre ? Henri IV lui n’hésita pas, ou rarement. Paris valait bien une messe et la monarchie un drapeau.
frederic le moal
Les lys et la république. Henri, comte de Chambord. 1820–1883, sous la direction d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, juin 2015, 268 p., 20.50 €