Rien n’est plus difficile que de définir les événements qui frappent l’ensemble des îles britanniques, et plus particulièrement l’Angleterre, pendant tout le XVII° siècle. En effet, deux révolutions, l’une dans les années 1640, l’autre en 1688–89, aboutissent au système de la monarchie parlementaire qui subsiste encore de l’autre côté de la Manche. C’est à la première vague que s’intéresse Bernard Cottret dans un livre passionnant. Dense, l’ouvrage l’est par les connaissances qui s’empilent au fil des pages. Fort heureusement, la clarté du propos, la limpidité de la langue et l’esprit distant et un brin ironique de l’auteur en rendent la lecture très agréable, même si un certain nombre de personnages sont d’illustres inconnus pour le grand public et le resteront.
Comme tout bon historien, Bernard Cottret remet en cause bien des idées reçues sur cette révolution. Il commence son récit non pas dans les années 1640 mais dès 1603, à l’avènement de Jacques Ier puisque selon lui les souverains Stuarts sont des protagonistes majeurs de ces événements, et pas seulement comme victimes. Ensuite, sa tentative de comprendre la matrice de ces soubresauts l’emmène à considérer que la révolution a eu des fondements d’abord politiques et ensuite religieux. Certes, il ne perd de vue que « l’Angleterre a mené une double révolution, politique et religieuse ». Mais c’est pour mieux affirmer que le cœur du problème se situe dans le projet protestant, dit presbytérien, de rejeter le compromis anglican et donc la hiérarchie et le pouvoir des évêques. Lorsque Jacques 1er affirme : « No bishop, no king », il résume très bien l’enjeu de toute cette affaire. Contester l’Eglise c’est contester le roi. On perçoit alors la portée de la rupture opérée par Henri VIII.
Enfin, il faut garder à l’esprit la matrice unificatrice des Stuarts qui aspirent à placer sous leur souveraineté les trois royaumes (Angleterre, Ecosse, Irlande) et donc à leur imposer le système anglican, d’où la révolte des Ecossais attachés à leur National Convenant, cette profession de foi presbytérienne. Politique et religion une fois de plus mêlées. La révolution s’est faite pour limiter les pouvoirs du souverain. Elle a dérapé, comme l’explique fort bien l’auteur, et a aboli monarchie, Chambre des Lords et épiscopat. Cela n’empêche pas une restauration qui s’apparente aussi à une paix de religion.
En lisant ces belles pages, on ne peut bien sûr s’empêcher de penser à la révolution française de 1789, notamment quand on découvre la brutalité de la répression de Cromwell contre les catholiques irlandais. Bernard Cottret parle à ce propos d’une volonté de « faire table rase du passé en transformant l’Irlande en une page blanche ». Pourtant, il faut quand même considérer que les deux évènements restent très éloignés l’un de l’autre. La révolution anglaise se fait en faveur des droits du Parlement et contre la tentation jugée absolutiste du roi ainsi que pour des motifs religieux ; autrement dit, au nom de la tradition. Ensuite, elle ne cherche ni à engendrer un homme nouveau, ni à régénérer l’humanité. Entre 1649 et 1789 s’est faufilée la philosophie des Lumières… Les Anglais pensent seulement aux droits des Anglais ! Une fois passée la dictature de Cromwell (dont l’intelligence et la brutalité sont bien mises en évidence), on en revient à la monarchie et au Parlement. Pour le plus grand bonheur des institutions anglaises jusqu’à nos jours.
A ce propos, il ne faut pas penser, en lisant ce livre, à la situation religieuse actuelle de l’Angleterre, à la disparition programmée de l’Eglise anglicane et aux bouleversements qui agitent la société d’outre-Manche. Car, dans ce cas, on serait saisi d’un vertige au bord du fossé…
frederic le moal
Bernard Cottret, La révolution anglaise, 1603–1660, Perrin, février 2015, 604 p. — 26,00 €.