Greg Bear, La Musique du sang

Que se passerait-il si toutes les cel­lules qui com­posent notre corps deve­naient intel­li­gentes  ?

V
ergil Ulam est un jeune cher­cheur brillant qui tra­vaille tard le soir. Sté­réo­type connu de tous, il est le bino­clard peu sédui­sant que seules ses recherches inté­ressent. Peu appré­cié de ses col­lègues, tête brû­lée ne res­pec­tant pas beau­coup l’autorité ni la hié­rar­chie, il ne manque à per­sonne lorsqu’il se fait mettre à la porte de la firme qui l’emploie. L’employé récal­ci­trant pro­fite de ces vacances impro­vi­sées et s’en va fêter cet évé­ne­ment dans un bar. Il ren­contre une femme entre­pre­nante, Gail, qui décide de res­ter aux côtés de ce com­pa­gnon très actif sur le plan sexuel. Ver­gil ana­lyse ces nou­veaux rap­ports avec l’espèce par­ti­cu­lière qu’est la femme et finit par accep­ter la pré­sence régu­lière de cette repré­sen­tante aty­pique chez lui. Alors qu’il prend du bon temps, le cher­cheur observe une curieuse muta­tion de son appa­rence phy­sique. Angoissé, il se tourne vers ses amis pour obte­nir des ana­lyses médi­cales. Mais tout s’arrange lorsqu’il se met à dia­lo­guer avec ses propres cel­lules et que Gail se trans­forme à son tour.

Toute cette affaire n’arrange pas le Pré­sident Har­ri­son de chez Géné­tron. Il n’a pas appré­cié les petits tra­vaux per­son­nels de son ancien employé : Ver­gil Ulam menait des recherches paral­lèles à celles de la société, et il était proche de la réus­site ! On ne laisse évi­dem­ment pas par­tir un scien­ti­fique aussi doué avec des don­nées ultra-secrètes sur les nano­tech­no­lo­gies, et encore moins avec du maté­riel qui pour­rait concur­ren­cer ce pro­jet. Car­tons, fioles et car­nets ont été détruits avec soin. Il ne fal­lait sur­tout pas que l’entrée en bourse de Géné­tron soit remise en cause. Mais qui aurait pu s’imaginer que Ver­gil s’était injecté ses “bio-logiques” comme il a bap­tisé ces nou­velles cel­lules ? Et quelles pour­raient en être les consé­quences ? Com­mence alors une trans­for­ma­tion extra­or­di­naire de l’espèce humaine… car les bio-logiques se répandent à une vitesse ahu­ris­sante, et le dépôt de bre­vet concer­nant les nano­tech­no­lo­gies devient tout à coup un pro­blème bien secondaire…

Greg Bear s’interroge : qu’adviendrait-il si toutes les cel­lules com­po­sant notre corps deve­naient intel­li­gentes ? Que devien­drait un être humain consti­tué d’autant d’âmes qu’il a de consti­tuants ? Sa réponse, bien mal illus­trée par l’image de cou­ver­ture, est éton­nante. L’auteur, dans un style propre et clair, expose ses théo­ries. Le texte frôle par moments la hard science et ceux qui n’ont pas quelques bases en bio­lo­gie auront du mal à se repé­rer dans le foi­son­ne­ment des termes spé­cia­li­sés et les démons­tra­tions qui les sup­portent. Tou­te­fois, inutile de s’attarder trop sur ces pas­sages : l’ensemble est aisé­ment com­pré­hen­sible et la réflexion qui sous-tend le pro­pos est acces­sible à tous. Ce qui est inté­res­sant dans ce récit n’est pas tant sa forme que son fond. Le lec­teur ne s’attache pas au héros ni aux per­son­nages ren­con­trés. Ils sont crus, bros­sés à grands traits mais ils ne sont que des seconds rôles. La nar­ra­tion reprend des ficelles de la lit­té­ra­ture d’horreur mais peu importe : seul le ques­tion­ne­ment compte - c’est le fond de ce texte qui lui confère sa force ; une force qui prend même une acuité par­ti­cu­lière lorsque nous reviennent en tête ces bre­vets sur le génome humain que cer­taines mul­ti­na­tio­nales pro­jettent de déposer.

Greg Bear inter­roge ses lec­teurs. La ques­tion reste sacré­ment per­ti­nente, sur­tout quand on com­pare la société de “fic­tion” décrite dans cet ouvrage à celle d’aujourd’hui. Les règles sont iden­tiques, le capi­ta­lisme, l’ambition, la poli­tique : tous les acteurs sont bel et bien pré­sents. Un génie aurait-il déjà décou­vert ces fameux bio-logiques ? À lire les remer­cie­ments et notes en fin d’ouvrage, on ne sort pas ras­suré de cette lecture !

Un livre d’actualité, bien qu’écrit il y a vingt ans déjà.

ana­bel delage

   
 

Greg Bear, La Musique du sang (tra­duit par Monique Lebailly), Folio SF n°200, 2005, 346 p. — 6,20 €.

 
     
 

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Filed under Poches, Science-fiction/ Fantastique etc.

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