Shmuel T. Meyer étreint le vent et capture les nuages car le visage d’une ville et celui d’une femme peuvent devenir ceux de l’imprévu et de l’inattendu. Mais pas n’importe quelle cité, pas n’importe quelle amante. La première a un nom : Genève. La seconde restera inconnue, mais elle parle : « Tu as de la chance m’avait-elle dit, il ne pleut pas. Cette soudaineté climatique était-elle à proprement parler une chance ? J’aimais Genève sous la pluie, sous la neige, sous la bise, bleue de son séchard venu du nord, grise de son Joran descendu du Jura avec fracas, irritée de son foehn. J’aimais Genève comme cette femme qui me menait vers la ville. » Surgit soudain une poétique de la ville qui changera désormais moins vite que celui du poète envahi par les abîmes délicieux de l’amour. Ce qui ne l’empêche pas d’ouvrir les yeux tout en métamorphosant la poussière d’asphalte de la rue du Mont Blanc en celle d’un diamant noir dans un rai de lumière.
Néanmoins, Shmuel T. Meyer ne pétrarquise pas. Les abîmes ont engendré l’espace de la rencontre. Certes, la célébration de la transhumance de l’être (il quitte Jérusalem pour la cité lémanique) est émise par l’embrasement d’une éternité provisoire : celle non seulement du temps humain mais de ses amours. Néanmoins, la poésie est autant liée à la ténuité de l’instant qu’aux rencontres improbables que l’évocation poétique entraîne. Près d’un tripot de Cornavin où l’auteur offre sa tournée à des poivrots, il rencontre un auteur célèbre mais disparu. D’où l’anecdote suivante « À l’angle de la rue des Alpes, un vieillard chauve l’avait abordé, robe de chambre pourpre damassée et lèvres purpurines : – Vous cherchez votre chemin ? – Non, je cherche le vôtre ».
Les fragments du discours amoureux et urbain sont autant inspirés d’Eros que d’une énergie spirituelle. Ils conduisent à la quête de l’être. Comme l’aveugle qui recouvre la vue, le poète rentre à lui-même mais s’abandonne tout autant à la beauté du monde redécouverte sur la rive du Léman. La ténèbre se dissout derrière un sanctuaire de sapins géants : sous les ossements de leur bois mort, il trouve son royaume.
jean-paul gavard-perret
Shmuel T. Meyer, Ah j’oubliais l’effarante beauté des lieux , Editions Métropolis, Genève, 2015.
Monsieur,
Par ce petit mot, je tenais à vous remercier pour cette très belle recension de mon livre et vous écrire toute ma gratitude.
Avec mes sentiments les meilleurs.
Shmuel