La lecture de ce roman prend, ces temps-ci, une résonnance particulière bien que le cœur de l’intrigue soit différent d’événements récents. Howard Gordon, scénariste, entre autres, de 24 heures chrono et Homeland, offre un récit en tension mettant en scène les sentiments de l’Amérique profonde.
Une jeune Gabonaise, dans l’Idaho, est victime d’un empoisonnement par le cyanure d’hydrogène contenu dans le manioc. Dale Wilmot, responsable de l’usine de traitement de cette racine, ne l’emmène pas à l’hôpital. Il l’étouffe pour abréger ses souffrances. Gideon Davis se presse pour donner son cours à l’université de Georgetown quand il est abordé par Ervin Mixon, un junkie. Celui-ci le connaît et veut cent mille dollars pour révéler ce qu’il sait d’un prochain attentat sur le sol des États-Unis. Il a enregistré une conversation du colonel Jim Verhoren, chef d’un groupe suprématiste paramilitaire. Les bribes d’informations qu’Ervin consent à lâcher “gratuitement” suffisent à Gideon pour admettre le sérieux de l’affaire, malgré la personnalité de l’individu.
Davis, n’étant plus membre du secrétariat d’État, doit passer par le FBI. Il contacte Nancy Clement, avec qui il a partagé sa vie quelques temps. Entretemps, Mixon est enlevé par un Verhoren méfiant. Le responsable de Nancy, un carriériste, ne veut pas croire à la réalité de la menace. Gideon se tourne vers son frère qui vit chichement près de la propriété de Verhoren et de sa milice pour qu’il infiltre cette dernière. Dale Wilmot soigne son fils unique revenu de la guerre d’Irak totalement massacré. Il ourdit un plan pour faire payer ce crime aux responsables de cette situation.
Gideon Davis, ce diplomate, héros de L’Obélisque (Michel Lafon– 2011), a dû quitter son poste de négociateur détaché par l’ONU. Cependant, lors de ses aventures précédentes, où il a dû faire abstraction de ses principes moraux, des besoins qu’il ignorait se sont réveillés. L’action lui plaît et il se révèle être (mais c’est plus facile dans les romans) un bon baroudeur doublé d’un aventurier. Cette seconde facette de sa personnalité est attractive pour le lecteur car elle permet de suivre le héros dans des équipées mouvementées, sous une tension forte, tant l’auteur sait jouer avec les nerfs de ceux pour qui il écrit.
H. Gordon exalte, à travers les deux frères, l’amour du pays, un amour conservé malgré les vicissitudes, les déboires et les injustices dont ils sont victimes. C’est donc en simples citoyens fidèles à des principes qui, à leurs yeux, valent la peine que l’on se batte tels que la vérité, la justice, la démocratie, qu’ils s’inscrivent dans la lutte contre les terroristes.
L’auteur organise son intrigue de telle manière que l’on suit, en temps réel, les deux trajectoires, celle de ceux qui organisent l’attentat et celle de ceux qui veulent les en empêcher. Le suspense se nourrit de cette course, de cette simultanéité, des avancées des uns et des autres, des progrès dans l’approche de la solution, des retards dans la mise en place des éléments criminels. Le romancier retient, comme moteur principal de son intrigue, la vengeance, le fait que : “Les responsables, c’étaient ces salopards, ces parasites, ces tas de merde de Washington, qui broyaient les vies de jeunes Américains…” Il s’appuie également sur des idées professées par nombre de citoyens des USA, idées prônant la suprématie de la race blanche, le droit à l’autodéfense…
Les deux frères sont entourés par une galerie de personnages variés, reflétant bien la composition de la société des États-Unis. On y trouve nombre de gens bien, des salauds et des arrivistes. Howard Gordon dresse un portrait remarquable d’un carriériste : “Dahlgren était un animal politique spécialisé dans l’ascension…”
La Cible, à l’image de séries télévisées telles que 24 heures chrono ou Homeland, propose une intrigue complexe, documentée, servie par un suspense qui ne se relâche pas.
serge perraud
Howard Gordon, La Cible (Hard Target), traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Bourguilleau, cherche midi, coll. “Thrillers”, janvier 2015, 400 p. – 20,00 €.