Où quand les Lumières obscurcissent
Cioran fut un des premiers à sortir du purgatoire l’œuvre de Joseph de Maistre. Elle fut longtemps ostracisée puisque son auteur était un des fondateurs de la philosophie contre-révolutionnaire ce qui était impardonnable aux bons esprits. L’auteur montra pourtant combien les Lumières plutôt que d’éclairer pouvaient projeter des incendies qui s’avérèrent justifiés. On en revient aujourd’hui sur les dichotomies factices qui firent d’une telle pensée le mal et de son opposé le bien. Les postmodernes sont en effet contraints de retourner à quelque chose de plus complexe.
Cioran rappelle comment « le saut et l’enjambée » ne peuvent se passer de la catastrophe depuis l’apocalypse des idéologies totalitaires du XXème siècle. Quelles qu’en furent les couleurs, elles devinrent les fossoyeuses non seulement de l’humanisme mais de l’être. Dans son essai de 1977, Cioran, sortant de l’aphorisme, élabora une pensée dont la validité demeure vivace. Les récents évènements prouvent que beaucoup de penseurs conçoivent plus aisément l’enfer que l’âge d’or, l’apocalypse que l’utopie d’autant que « plus il y a d’hommes sur terre plus il y a d’exaspération » (Michaux).
D’où la nécessité de penser les mouvements « révolutionnaires » comme les contre-pouvoirs qui souhaitent les endiguer. Bref, de penser non seulement le cauchemar mais la légitimité de ceux qui proposent leurs présupposés sur le sujet. A ce titre, De Maistre fut plus pertinent que bien des prédicateurs d’illusions. Cioran en reste le descendant. Certains lui reprochent une telle faiblesse. Elle est pourtant nécessaire pour penser le réel et l’actualité.
jean-paul gavard-perret
Emile Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Frontispice de Pierre Alechinsky, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, réédition 2015, 88 p .