Nathalie Delhaye rappelle que l’artiste « n’est ni coiffeur, ni musicien », mais peut-être tailleur si l’on en croit Beckett dans Le monde et le pantalon, mais à condition qu’ils ne « boivent trop de tilleul ». Redonnant à l’art son pouvoir intrinsèque, la créatrice fuit le concept, cherche l’idée, le concret La présence devient un point de vertige, dégage le regard de l’étau physique. Au sein de formes minimalistes et abstraites, l’œuvre de la sculptrice dépend d’abord d’un chemin intérieur. Il métamorphose le monde en rendant sensible une présence et une nudité qui se projettent sur le futur.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La première lumière du jour, si belle, dans ce jardin devant mon lit. Et l’urgence de vivre.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Certains rêves doivent le rester, pour continuer d’inspirer le temps présent. Beaucoup d’autres sont réalisés avec bonheur.
A quoi avez-vous renoncé ?
A une vie de femme très standard. Aux relations fausses et aliénantes. A la sécurité. Et l’insécurité devint ma plus fidèle compagne, seule garante de réelles découvertes …
D’où venez-vous ?
De très loin, d’un monde chaleureux et aimant, fluide, lumineux et léger.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’enseignement de mes parents, façon 18ème, exigeant, vaste, brillant, complet. Une éducation hors normes, ouverte sur les sons, les couleurs et les matières, les techniques, la littérature, le dessin, la philosophie, la géologie, la botanique, les nombres, la pensée, les valeurs humaines, la beauté …
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Une profession devenue insupportable de routine et de compromis.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
La fréquentation d’une petite rivière, ma muse et amie de longue date, dans le silence d’une forêt. Et la contemplation du ciel …
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Qu’est-ce qu’un artiste? Je refuse ce mot galvaudé et sali, qui m’évoque bien plus des notions de réseau, d’institutions, et les habituelles petites combines puantes dignes de rats se battant dans un trou.
Je suis sculpteure, ce qui est tout à fait autre chose. Je viens du monde des outils, d’un savoir lointain de forgerons, de gestes et de techniques acquis avec patience et lenteur dans le froid des carrières depuis la nuit des temps.
Comment ne pas choisir cette intériorité poétique nécessaire à la recherche et l’expression de ces formes intimes qui me viennent aux mains et par lesquelles j’expérimente l’immense grâce de vivre?
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
L’extraordinaire diversité de formes des coquillages de la collection de mon père, qui furent mes premiers jouets.
Et votre première lecture ?
Saint-Exupéry «Le petit Prince».
Comment pourriez-vous définir votre travail d’essentialisation des formes ?
Je base mes recherches sur la spatialité de la lumière. Aller à l’essentiel, c’est ressentir, observer. Le regard est un acte en soi qui demande beaucoup de temps.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Arvo Pärt, Pandit Hariprasad Chaurasia, Bach, Purcell, Haendel, Kayhan Kalhor, Ustad Sultan Khan, Steve Reich, Mohammad Reza Lotfi, Toru Takemitsu, John Cage, Salvatore Sciarrino, Moondog, György Ligeti, Philippe Glass, Taylor Deupree, Alva Noto, Ryuichi Sakamoto, Kangding Ray, Fazil Say, Murray Schafer, Eliane Radigue, Françoise Barrière, Pierre Mariétan, Peter Streif, Satoko Fuji, Altan Urag, Gundecha Brothers, Kapsberger, Lutoslavski, Okna Tsahan Zam, Ryoji Ikeda, Hannes Fessmann, Hans Zimmer, Ólafur Arnalds, Dieter Meyer, Stefano Landi, … tant d’autres encore …
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Bonnefoy, Deleuze, Montaigne. La poésie japonaise.
Quel film vous fait pleurer ?
La retranscription en anglais de l’une des célèbres causeries du penseur Jiddu Krishnamurti, 1976. Très édifiant …
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme debout.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Tadao Ando.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La douceur de la cour déserte du temple Shisendo / Kyoto, devant les azalées en fleurs, au mois de juin.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Brancusi, Anish Kapoor, Takashi Hatta, James Turell et quelques autres …
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un kimono de l’ère Genroku / Japon
Que défendez-vous ?
La notion de défense obéit obligatoirement à une perception d’attaque. Se mettre en combat implique immédiatement la modification des formes et une perte immense d’énergie. La création est d’un tout autre ordre.
Devant l’immense multitude des luttes possibles, devant la futilité même de l’issue, il ne reste plus qu’à être soi, ce qui implique ténacité et certains sacrifices.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’Amour restera un mystère …
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Farceur …
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
La plus importante …
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitreraire.com, le 10 janvier 2015.
Peut-être me liras-tu ici?
Belle interview , de très belles choses que tu dis avec une belle sincérité.
Tes références me plaisent.
Tu est sculpteure, et tu peux entreprendre beaucoup dans un tas de domaines.
Je t’embrasse
Pierre