Les sources de vie d’Anne-Marie Cutolo : entretien avec l’artiste

Anne-Marie Cutolo arrache les amarres du réel. Ce qui rete­nait les images aux spec­tacles du monde et aux cer­ti­tudes se méta­mor­phose en ce qui un sur­réa­lisme inédit. A tra­vers des per­son­nages qua­si­ment fan­to­ma­tiques — réduits par­fois à des vani­tés –, l’artiste cherche à rete­nir le der­nier cri de la terre. Un cri visuel expec­toré du conti­nent du vivant, au bout du monde, d’une vie épu­rée en un lieu de limbes sou­li­gné par les cou­leurs tendres et froides qui deviennent une méta­phore fas­ci­nante de l’existence. De telles figu­ra­tions ali­mentent la rhé­to­rique de l’introversion. Et bien que tout semble avoir été dit ou mon­tré du voyage inté­rieur de l’être, sur son errance à la recherche de son âme, sur l’immobile aven­ture de qui ne vise nul ailleurs que soi-même, l’artiste prouve qu’il existe encore beau­coup à dévoi­ler. La pein­ture est allé­gée de toute adhé­rence à l’ordre com­mun du per­cep­tible et de toute adhé­sion aux codes de causalités.

L’œuvre est hyper­bo­réenne. Néan­moins, elle n’est pas gla­cée : s’y agitent des mou­ve­ments aux abords d’un minuit polaire où le soleil est de givre. Il faut au regar­deur repar­tir de cette mort, de cette abo­li­tion, pour renaître en sur­gis­sant de la ténèbre, du silence et du froid. Ce sont là les points car­di­naux à par­tir des­quels l’œuvre d’Anne-Marie s’édifie et s’enclot. C’est là son « tem­plum ». Nulle divi­nité ne hante la pré­ca­rité de l’existence. Se retrouvent sur ses rives nos « vani­tés ».
La maî­tresse des formes et des cou­leurs en trans­forme la carène et n’enlise jamais dans des pié­ti­ne­ments visuels. Une musique de désir inau­dible est tra­duite par les mou­ve­ments des formes dans ce voyage vers la terre ultime.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le sen­ti­ment que la paresse qui m’habite va être ma per­di­tion, il faut donc vite pas­ser de la posi­tion hori­zon­tale à la verticale

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je ne sais pas ce qu’ils étaient, mais peut-être la pein­ture m’aide-t-elle à m’en approcher

A quoi avez-vous renoncé ?
A prendre les choses, évè­ne­ments, expé­riences de manière simple

D’où venez-vous ?
Née en Italie,j’ ai vécu jusqu’à l’âge de huit ans à Pom­péi. Je crois que ces ori­gines jouent un rôle signi­fi­ca­tif dans mon tra­vail : l’espace des ruines qui côtoie la ville récente, la pré­sence du Vésuve, ces corps cal­ci­nés qui ont mar­qué la terre de leur empreinte…

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Mon visage, mon corps

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Si j’ai pla­qué quelque chose, c’était sans bles­sure, car c’était ce qui ne me conve­nait pas : les conven­tions domi­ni­cales, fes­tives, de réunion de groupes.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le petit déjeu­ner : un thé à n’en plus finir, du pain frais et du miel, ceci avec le livre du moment.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Que signi­fie être artiste ? Il y a un tel cli­ché qui colle à ce mot (le rêveur bohème, le libre de son temps, le désor­ga­nisé, etc…) que je pré­fère me défi­nir comme un être humain qui cherche ce qui n’est pas donné au pre­mier abord

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
Ce n’était pas une approche seule­ment esthé­tique ; j’étais fas­ci­née par la pré­sence vivante d’une image de sainte accro­chée dans la chambre de mes parents.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Un livre auquel je ne com­pre­nais rien — car j’étais en France depuis moins d’un an et appre­nais la langue au quo­ti­dien – mais qui m’a fas­ciné, « Robin­son Crusoë ».

Pour­quoi votre atti­rance vers ce qu’on nom­mait les vani­tés et leurs méta­mor­phoses ?
C’est venu sou­dain sous le pin­ceau, des effets de pein­ture ont sug­géré un crâne que je me suis conten­tée de sou­li­gner. Mais c’était là, dans un ferment inté­rieur, dans un ques­tion­ne­ment sur ce qui reste d’un humain, sur la chair et l’os, sur la rela­tion entre la caverne du crâne et celle du ventre, le rap­pro­che­ment entre la pierre et le crâne.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Dif­fi­cile à défi­nir, car elles sont mul­tiples ; cela va de la musique impro­vi­sée aux airs baroques en pas­sant par un cer­tain jazz contem­po­rain. Le com­po­si­teur Hei­ner Goeb­bels ras­semble tous ces croi­se­ments et ori­gines, je ne me lasse pas de l’écouter.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je m’attache aux livres que je garde pré­cieu­se­ment, mais relis très peu un livre entier ; j’ouvre régu­liè­re­ment la cor­res­pon­dance de Rilke, le jour­nal de Kafka ou « La pesan­teur et la grâce » de Simone Weil.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je n’ai pas de film en par­ti­cu­lier en mémoire, car c’est si vaste ! Et les effets du cinéma si effi­caces en conju­guant image et musique, len­teur et accé­lé­ra­tion… Je pour­rais tout de même citer « The Kid » ou « Rocco et ses Frères », ou encore les ani­ma­tions de Hayao Miyazaki.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Qui sait ? Quelqu’un qui est de pas­sage sur terre pen­dant un moment

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais songé à écrire à quelqu’un de célèbre.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Pom­péi, bien sûr !

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’ai adoré Nico­las de Staël, Fau­trier ou Gia­co­metti – sans que mon tra­vail soit proche de ce qu’ils fai­saient, un res­pect pour leur hon­nê­teté et leur recherche sur le fil. J’admire la pein­ture de Rem­brandt, celle de Goya, cer­taines toiles de Vinci, de Van Der Wey­den, mais la liste serait trop longue…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je suis très embar­ras­sée lors des fêtes, ne sais pas quoi faire de ces jours-là…

Que défendez-vous ?
Que cha­cun trouve son mode de pen­sée et d’expression en propre sans se lais­ser mener par les dik­tats des modes. En l’occurrence, je tra­vaille sur des cata­logues de publi­cité que je détourne par la peinture

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela me semble être du pur cynisme, de petites acro­ba­ties ver­bales sans intérêt.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
C’est une réponse à une absence de ques­tion qui est pleine de confiance ! Un méfiant dirait « la réponse est non, mais quelle était la question ? »

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Aucune pour l’instant, cela vien­dra avec le temps…

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 1er jan­vier 2015.

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