Louise Welsh, La Fille dans l’escalier

La capa­cité des humains à se faire mal…

Le quo­ti­dien ne génère-t-il pas autant de dan­gers que les meilleures séquences de Fan­tas­tique ou d’Horreur sor­ties de l’imagination fer­tile d’auteurs ? Louise Welsh excelle à faire sourdre l’angoisse de situa­tions cou­rantes.
Jane Logan, enceinte de plus de six mois, a rejoint Petra, sa com­pagne, à Ber­lin. Elles logent dans un vieil immeuble d’un ancien quar­tier juif devenu un nou­veau sec­teur bran­ché. Souf­frant d’une insom­nie, elle entend les éclats d’une vio­lente dis­pute dans l’appartement d’à côté. Elle ren­contre, sur son palier, le doc­teur Alban Mann et Anna, sa fille ado­les­cente en qui elle recon­naît la jeune fille outra­geu­se­ment maquillée aper­çue depuis sa fenêtre. Elle s’inquiète pour elle quand elle repense aux termes employés lors de la dis­pute.
Esseu­lée, Petra tra­vaille toute la jour­née, Jane découvre son envi­ron­ne­ment. Depuis son bal­con elle plonge sur une ancienne église et son cime­tière. De l’autre côté de la cour, un bâti­ment aban­donné offre une vue lugubre. Et Jane observe les allées et venues, épie, spé­cule. Une nuit elle aper­çoit une lueur dans le bâti­ment désaf­fecté et décide d’aller voir. Elle entend les voix d’un couple mais bute dans un objet, déclenche un vacarme et s’enfuit. En ren­trant pour rejoindre son appar­te­ment, elle ren­contre Frau Becker, une vieille dame qui lui pro­pose de se réfu­gier chez elle pour échap­per aux “Russes”. Celle-ci vit dans son passé mais affirme que Greta, la mère d’Anna, a été tuée par son mari. Il l’a enter­rée sous le plan­cher du bâti­ment désaf­fecté. C’est Herr Becker qui la met en garde, en la rac­com­pa­gnant : “Ne vous appro­chez pas de l’immeuble de der­rière, sur­tout la nuit.“
Jane pressent un péril, une menace latente face à ces mou­ve­ments noc­turnes inquié­tants. Que se passe-t-il dans ce bâti­ment ? Pour­quoi Anna fugue-t-elle et qui fréquente-t-elle pen­dant ce temps ? Les pro­pos de Frau Becker sont-ils crédibles ?

C’est avec des bâti­ments, des immeubles, des appar­te­ments, avec l’atmosphère qu’ils engendrent, les ambiances qu’ils génèrent, les fan­tômes qu’ils peuvent abri­ter que Louise Welsh construit une large part de son intrigue. Elle place, dans un cadre inquié­tant, géné­ra­teur de craintes, d’angoisses, de dan­gers, une jeune femme fra­gi­li­sée autant par sa situa­tion que par un passé dif­fi­cile et dou­lou­reux. Celle-ci se retrouve dans une ville incon­nue, iso­lée par la bar­rière de la langue, soli­taire dans la jour­née, insom­niaque.
Peu à peu, l’auteure ins­tille des élé­ments qui viennent enfié­vrer l’imagination de son héroïne, lui fait faire des ren­contres qui sus­citent inter­ro­ga­tions et inquié­tudes. Ainsi, elle confronte Jane à la dis­pa­ri­tion mys­té­rieuse d’une femme, à un prêtre énig­ma­tique, à des enfants fron­deurs, à des allers et venues inex­pli­cables… Cet état de dés­équi­libre est exa­cerbé par sa situa­tion de femme enceinte, par cette nou­velle vie qu’elle doit défendre et, par exten­sion, ces vies qu’elle veut pro­té­ger. Elle va se mettre en dan­ger, se pla­cer dans des situa­tions cri­tiques, mon­tant contre elle ceux qui pour­raient l’aider.

Avec Jane, Louise Welsh met en scène une jeune femme qui trans­gresse nombre de tabous, mais qui découvre les affres et les joies de la mater­nité. L’auteure prend tou­te­fois une dis­tance par rap­port à son récit, créant avec son héroïne un espace mys­té­rieux, en met­tant en scène une ado­les­cente en proie à des démons, les démons que Jane a connus, qui affleurent prêts à resur­gir. Cette his­toire est contée avec une écri­ture tra­vaillée sous des dehors d’apparente sim­pli­cité, avec un style direct et effi­cace pour une mon­tée de la ten­sion nar­ra­tive.
La Fille dans l’escalier, avec son intrigue en demi-teinte, sa gale­rie de per­son­nages par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie, se dévore avec un grand plaisir.

serge per­raud

Louise Welsh, La Fille dans l’escalier (The Girl on the Stairs) tra­duit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwal­ler, Métai­lié, coll. “Biblio­thèque écos­saise – Noir”, octobre 2014, 256 p. – 18,00 €.

Leave a Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>