Franck Pavloff & oeuvres de C215, Matin brun

D’abord ils sont venus…

Le pro­pos est simple, on serait tenté de dire : presque biblique n’était le sujet abordé. En une dizaine de pages, Matin brun, dont le titre fait écho, entre autres, aux che­mises brunes por­tées par les nazis dans les années 1930, pré­sente l’histoire de Char­lie et de son ami, deux hommes quel­conques au phy­sique indé­ter­miné qui coulent des jours heu­reux sans se poser de ques­tions sur le sens de leur exis­tence. Mais leur pays doit sou­dain fait face à la mon­tée d’un nou­veau régime poli­tique extrême : l’Etat brun.
Ce der­nier com­mence alors par inter­dire les chats qui ne sont pas bruns, pré­tex­tant une sur­po­pu­la­tion illus­trée par des don­nées scien­ti­fiques, pour peu après étendre cette règle aux chiens éga­le­ment. Mal­gré leur tris­tesse, Char­lie et son ami ne résistent pas à cette nou­velle mesure natio­nale et se résignent cha­cun à tuer leur ani­mal de com­pa­gnie. L’engrenage est amorcé et sera sans retour :  c’est ensuite le quo­ti­dien de la ville qui ne peut plus être publié car il s’oppose au renou­veau du pays (un jour­nal dernier-né :  “Nou­velles brunes ” le rem­pla­cera avan­ta­geu­se­ment). Puis, pour des rai­sons obs­cures, ce sont les  livres qui sont bien­tôt enle­vés des biblio­thèques.
La règle de la « bru­nite » géné­ra­li­sée s’intensifie encore et désor­mais tout ceux qui ont par le passé ont pos­sédé un ani­mal non brun doivent être arrê­tés. Char­lie et le nar­ra­teur, dénon­cés par leur entou­rage, n’échapperont pas à la règle.

Cette courte des­crip­tion de l’implacable mis en place d’un régime tota­li­taire — faci­li­tée par la sou­mis­sion et le manque d’esprit cri­tique des hommes – qui a été publiée à l’origine en 1998 (et tra­duite dans plus de 25 pays) est mise ici, avec un tra­vail inté­res­sant sur la typo­gra­phie du texte,  en contre­point des œuvres de street art à fort impact visuel du pochoi­riste de Vitry-sur-Seine, C215.
Long­temps avant le Indignez-vous ! de Hes­sel, voici une fable sociale intem­po­relle aux allures de 1984 et de Faren­heit 451 qui rap­pelle com­bien dans l’Histoire les petites dis­cri­mi­na­tions consen­ties font les grands idéo­lo­gies liber­ti­cides. Et le lec­teur vigi­lant de se sou­ve­nir du poème D’abord ils sont venus écrit dans le camp de concen­tra­tion de Dachau par le Pas­teur Mar­tin Niemöl­ler, théo­lo­gien et Pré­sident des Eglises Réfor­mées de Hesse-Nassau, interné poli­tique de 1938 à 1945 :

D’abord ils sont venus cher­cher les Communistes

Et je n’ai rien dit

Parce que je n’étais pas communiste

D’abord ils sont venus cher­cher les Socialistes

Et je n’ai rien dit

Parce que je n’étais pas Socialiste

D’abord ils sont venus cher­cher les Syndicalistes

Et je n’ai rien dit

Parce que je n’étais pas Syndicaliste

D’abord ils sont venus cher­cher les Juifs

Et je n’ai rien dit

Parce que je n’étais pas juif

Puis ils sont venus me chercher

Et il ne res­tait plus personne

Pour me défendre.


fre­de­ric grolleau

Franck Pav­loff, Matin brun, œuvres de C215, Edi­tions Albin Michel, octobre 2014, — 12,50 €.

 

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