Celle qui fut chanteuse à Séville : entretien avec Laura Vazquez

Lécri­ture de Laura Vaz­quez sur­prend par la vigueur de son inter­ro­ga­tion créa­trice. Elle se nour­rit du vécu qu’elle sonde ou monte en flèche selon une « Ren­gaine » aussi lyrique que drôle. La mémoire se recom­pose afin de faire sur­gir le futur en une volonté poé­tique qui dépasse les formes four­nies par la tra­di­tion lit­té­raire. Des audaces pénètrent les sou­bas­se­ments du passé avec la délec­ta­tion salu­taire selon des «ameu­ble­ments » qui s’écartent de l’autofiction. L’imaginaire car­bure dans la dyna­mique de l’écriture qui ne s’enveloppe pas for­cé­ment du récon­fort de la résur­rec­tion.
Tiraillée entre ce qui assaille et ce qui se perd, l’auteure est autant sur un lit de fer que sur un lit de braise, face à une pro­blé­ma­tique tant de la clô­ture que du rayon­ne­ment, tant de la vie secrète que de déploie­ment du monde. Et qu’importe si les mâles sont par­fois, au mieux, ce qu’ils sont : un bois flotté dans les calanques.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
J’ai faim ou alors j’ai soif. J’ai sou­vent faim ou soif. Si je n’avais pas faim ou soif, je ne me lève­rais jamais peut-être.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je sup­pose qu’ils sont deve­nus rien, qu’ils sont tou­jours comme ils étaient. Je sup­pose que c’est tou­jours pareil.

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux humains. On pré­sente tou­jours l’humain comme la quin­tes­sence du vivant, c’est ce qu’on nous apprend dès l’enfance, l’évolution, l’intelligence, la civi­li­sa­tion, les outils, le pro­grès, la tech­nique, la tech­no­lo­gie, on s’auto-présente comme le génie ultime du vivant, le maillon fort de la chaîne, le haut de la pyra­mide, la sub­stan­ti­fique moëlle du vivant, le vain­queur de la vie, l’Homme, l’humanité, la glo­rieuse mer­veille !
Pour­tant, c’est évident, nous sommes la pire des choses au monde, la défaite totale, l’infection qui s’étend. Il suf­fit de voir un peu l’état des océans, l’état des forêts, les ani­maux qui dis­pa­raissent, la manière dont on les traite, dont on les tor­ture conti­nuel­le­ment, dont on les uti­lise, comme des machines, comme des objets, parce que nous sommes convain­cus, nous sommes sûrs que nous valons mieux que la mer, mieux que l’air, que la terre, et mieux que tous les ani­maux, mieux que les plantes et même mieux que notre corps, que notre propre corps d’animal, c’est ce que nous croyons.
En réa­lité nous sommes l’horreur, nous sommes la plaie de la vie. C’est un vrai désastre, un véri­table désastre, il y a des chiffres ter­ribles qui cor­res­pondent à des réa­li­tés ter­ribles. En quelques années la popu­la­tion mon­diale de pois­sons, mam­mi­fères, rep­tiles, oiseaux, a dimi­nué de plus de moi­tié, c’est immense, ce sont des dizaines de mil­liards, des cen­taines de mil­liards d’animaux, un mil­lier de mil­liards pour les ani­maux sous-marins. L’homme est convaincu de valoir davan­tage qu’un pois­son, qu’un singe, qu’un oiseau, il est la vanité même, il est avide à l’infini. Je crois qu’il y a de la fureur dans notre sang. L’espèce humaine est dévas­ta­trice, il y a de la fureur dans notre sang.

D’où venez-vous ?
Je ne sais pas, je n’y ai jamais trop pensé. J’aime beau­coup les des­sins des hommes pré­his­to­riques, j’espère un jour en voir en vrai.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
De la méfiance.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Je n’ai pas vrai­ment de travail.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
J’aime dor­mir, faire des rêves et j’aime man­ger, cui­si­ner, lire, traî­ner sur inter­net, res­ter chez moi.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Je ne sais pas ce que vous enten­dez par ce mot écri­vain. Je le com­prends à ma manière, je vous réponds à ma manière : je crois que rien ne m’en distingue.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
C’est une image inté­rieure. J’étais très jeune, je pas­sais la vie chez ma grand-mère, dans la cam­pagne abso­lue, dans un vil­lage qui s’appelle Villeneuve-de-la-Rivière, j’avais des copains, on mon­tait aux arbres, on attra­pait les gre­nouilles, on s’ouvrait les genoux, on man­geait le rai­sin, on piquait aux jar­dins, on son­nait les son­nettes, on se par­lait très peu. Il y avait tou­jours les arbres et le ciel, on cour­rait. Un jour, on a volé quelque chose et la voi­sine de ma grand-mère nous a sur­pris. Je ne vou­lais pas qu’elle me recon­naisse, alors j’ai modi­fié mon visage, je l’ai changé. Exté­rieu­re­ment je pense que j’ai fait une gri­mace, inté­rieu­re­ment j’ai créé un nou­veau visage. J’ai pensé à ça toute ma vie.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Chez moi on regar­dait la télé sur­tout, mais j’allais à la biblio­thèque et je me sou­viens du pre­mier livre. C’est un livre pour enfants, l’histoire d’un gar­çon qui doit quit­ter la cam­pagne, ses parents l’emportent à la ville, il a un chien. J’ai pleuré en le lisant. Je l’ai volé ensuite, je l’ai gardé long­temps, même adulte. Et puis un jour, dans un démé­na­ge­ment, je l’ai jeté.

Pour­quoi votre atti­rances vers l’éros ?
Ce n’est pas le mot que j’emploierais. Et d’ailleurs, je n’ai pas l’impression que ça m’attire, pas plus que le reste, que le sang par exemple ou toutes les choses fortes. Vous savez dans les livres, à part de sexe et de mort, on ne parle pas de grand chose, d’ailleurs on ne parle pas. Voyez la Bible.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai un grand amour pour la musique et une grande admi­ra­tion pour la musique. Pour moi, c’est l’art suprême, c’est l’art le plus direct, le plus haut, c’est le plus immé­diat. J’aurais voulu faire de la musique. Pen­dant un moment j’ai été chan­teuse à Séville, j’étais jeune, je vivais comme ça, avec une musi­cienne qui s’appelle Clara de Asis, on jouait aux ter­rasses des chan­sons simples, notre réper­toire était fait de chan­sons pour tou­ristes, des chan­sons fran­çaises, Édith Piaf sur­tout. J’ai écouté beau­coup de chan­sons, il y a des chan­teuses que j’adorerai tou­jours, toute ma vie j’adorerai Dalida.
Et j’aime la musique élec­troa­cous­tique, la musique acous­ma­tique, elle s’écoute dans un acous­mo­nium, c’est une salle de concert plon­gée dans le noir. Des hauts par­leurs dif­fusent les pièces et un musi­cien les spa­tia­lise, il les fait bou­ger dans l’espace. Il y a des com­po­si­teurs mer­veilleux, comme Fer­rari ou Pierre Henry. Ensuite j’aime des artistes inclas­sables comme Ghé­da­lia Tazartes, Daniel Johns­ton. J’écoute beau­coup de rap aussi, ma rap­peuse pré­fé­rée est Keny Arkana. Et j’aime les com­po­si­tions de Clara de Asis, avec qui je fais de la poé­sie sonore, c’est une artiste magni­fique, elle com­pose des pièces élec­troa­cous­tiques, elle fait aussi de la gui­tare pré­pa­rée. La gui­tare pré­pa­rée, c’est une gui­tare cou­chée sur une table. Elle touche la gui­tare, elle invente des sons avec l’instrument cou­ché, c’est sublime à entendre et à voir.
Mais sur­tout l’improvisation, en musique, c’est une émo­tion très vive, quand le musi­cien arrive à sen­tir les choses, qu’il arrive à avan­cer de la manière qui doit être, c’est sublime. Je dis la manière qui doit être parce qu’il n’y a pas d’autre manière, c’est la manière exacte. C’est comme au foot­ball, quand Mara­dona prend la balle, qu’il tra­verse tout le ter­rain et qu’il marque, per­sonne ne peut l’expliquer, il n’y a plus de tech­nique, il n’y a pas de recette, c’est la manière qui doit être, c’est la manière exacte.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aime relire des mor­ceaux de livre, sou­vent quand j’écris ça me donne de l’élan, je relis sou­vent Lucrèce, les lettres d’Ivan le ter­rible, Nijinski, Selby, La Fon­taine, l’Ecclésiaste, par­fois je relis seule­ment des titres, il y a des titres vrai­ment magni­fiques, je suis fas­ci­née par cer­tains titres, je me les repasse comme une musique, Les jumeaux mar­tyrs, Le diable tout le temps, Robert le diable, Lourdes lentes, Aucas­sin et Nico­lette, Un anneau d’argent à l’oreille, Charles ardent, Tho­mas l’obscur, La prin­cesse du sang, Nuits bleues, calmes bières, L’avalée des ava­lés, L’homme-jasmin, Le mont ana­logue, L’art de la guerre, Jour­nal du voleur, Le bâton, La croi­sade des enfants. J’en oublie beau­coup, mais par­fois il suf­fit de lire un titre.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Hier soir j’ai vu un film qui m’a fait pleu­rer, c’est Mange tes morts, tu ne diras point. C’est un très beau film. J’ai aimé aussi le pre­mier film de ce réa­li­sa­teur : La BM du sei­gneur. Ce sont les mêmes acteurs pour les deux films. Ce sont des gens qui vivent ensemble, qui se connaissent très bien, on le sent dans le film.
Je regarde aussi beau­coup de séries et beau­coup de vidéos sur Inter­net, toutes sortes de vidéo, j’en regarde presque tous les jours, c’est extra­or­di­nai­re­ment inépui­sable, je regarde sur­tout des vidéos de per­sonnes incon­nues, des per­sonnes qui font des reprises ou qui expliquent des choses, qui donnent des conseils, qui montrent com­ment poussent leurs plantes, com­ment cui­si­ner des légumes, je regarde des docu­men­taires, des expli­ca­tions, des lec­tures par­fois, je regarde des comiques, sur Inter­net il y a des comiques incroyables, des per­sonnes très jeunes qui se filment dans leur chambre et qui ont un talent incroyable, une puis­sance incroyable, des idées, beau­coup de force, beau­coup d’énergie, et des rap­peurs aussi, je passe des heures sur You­tube et je passe des heures sur Inter­net en géné­ral. Je devais avoir 13 ans quand Inter­net est arri­vée dans les vies. Je vis avec Inter­net dans ma vie.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
C’est dif­fi­cile de se voir dans l’ensemble, des fois je me regarde un sour­cil, une mèche, je me regarde les dents, mais pen­ser que tout ça forme une per­sonne, et que cette per­sonne c’est moi, je n’en ai pas la force, je n’en ai pas les capacités.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aurais bien voulu écrire à Daniel Darc, je l’ai écouté sou­vent, je l’ai beau­coup aimé dans mon enfance. Je lui aurais envoyé mes livres. Peut-être que j’enverrai mon pro­chain livre à Gérard Man­set et à Denis Lavant, il fau­drait que je trouve leurs adresses.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Plus que des villes, sans doute des endroits qui reviennent dans mes rêves, des esca­liers de fer, des grottes, des pièces secrètes, des mers, des appartements.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Proche, je ne sais pas, des ani­maux peut-être, des arai­gnées, des oiseaux.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une col­lec­tion très com­plète d’ustensiles de cuisine.

Que défendez-vous ?
Je défends les ani­maux. Les ani­maux sont en enfer ici.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je me méfie de cet homme, je me méfie beau­coup de sa rete­nue que je trouve très agres­sive, il n’est pas timide mais il se retient. Et je me méfie des véri­tés géné­rales, l’amour c’est ceci ou cela. Sa phrase que vous citez, elle ne me dit rien, elle n’est inté­res­sante à aucun niveau pour moi, c’est le degré zéro. Si, fina­le­ment elle est inté­res­sante pour faire une paro­die, un pho­to­mon­tage par exemple, avec des dau­phins et un cou­cher de soleil.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?”
Je n’en pense rien, mais le mot oui est très puis­sant, il a rai­son de l’utiliser, il est malin.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 21 octobre 2014.

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