Lit-sens interdit : anatomie des images & anagrammes du corps
La fascination comme l’horreur pour la pornographie relèvent d’une approche un peu simple et carrée de la vie, de l’art pour de la littérature. Ce coffret remet les idées en place à travers les œuvres d’Hans Bellmer, Unica Zurn, Verlaine, Louÿs, Bataille et Molinier. Le corps s’y reconstruit dans des langages anagrammatiques. Lesquels prouvent combien il est difficile d’approcher la sexualité et la vie.
C’est d’ailleurs pourquoi Unica Zurn comme Molinier ont été traités de fous ou de malades. Les plongeons qu’ils proposent dans ce coffret à la fois glacent certains, échauffent d’autres même si le propos est bien autre. Textes et images font oublier l’idée reçue que le sexe après le mariage est aussi plausible que la vie après la mort.
Il y a donc là de sombres printemps et des étés indiens dégagés des artefacts. Et si, par exemple, dans le couple Hans Bellmer et Unica Zürn, l’homme semble occuper la première place, la femme est essentielle dans la façon d’aborder la pornographie. Elle s’écrit de manière autobiographique mais à la troisième personne jusque dans les journaux intimes de l’auteure. Celle-ci permet à l’enfer de changer du nom : il devient paradis. A moins que ce ne soit l’inverse…
Néanmoins et contrairement à ce qu’on pense, la pornographie n’est pas basiquement hard-core : elle invente un langage secret qui peut parfois prendre la figure de lipogrammes plus que de liposuccions. Elle cache ce qu’elle montre et souvent le questionne. A ce titre, D.A.F de Sade reste le maître précurseur. Plus qu’un autre, il a prouvé que les femmes qui n’attendent rien des hommes seront toujours comblées.
Ecrit, dessiné, photographié, le genre jette, brûle ou déchire ce qu’il produit selon divers objets, ambiances, situations moins stéréotypées qu’on l’imagine. Une moustache pique les lèvres intimes lors d’effusions. Peut s’y mêler un parfum de tabac, de cuir et d’eau de Cologne. Des bottines craquent, les voix se font sombres et chaudes et la tendresse est soit violente soit comique là où les êtres s’amusent à la simple découverte du monde que la censure veut muet, voilé et mutilé.
Il y a des hommes, des femmes. Et pas forcément de différences entre eux. Les secondes portent des pantalons, les premiers des jupes. Il existe bien sûr des abus, des viols, des chantages : « Si tu en parles, je te tuerai. » disent certains mâles. Ils ignorent le sens du silence de mépris qu’on leur adresse et qui les rend ennemis mortels. Comme dans L’empire des sens, à la petite mort se mêle l’envie d’assassiner l’agresseur. Si bien qu’une obscénité seconde dépasse la première. Mais surgit tout autant une joie partagée et une incurable curiosité. Les êtres éperdus se fourrent dans des lits interdits où l’infante rit une fois l’éros tari.
Le genre propose en outre une autre histoire de l’œil en faisant jouer le désir de malléabilité d’un nouveau corps. En même temps, il exerce une poésie nouvelle dans la « Rose au cœur violet » chère à Nerval. En un tel coffret éclate bien des mystères au milieu des rébus ou puzzles du corps. Tous sont à résoudre avec obstination, joie fiévreuse ou maladive dans ce qui se veut inépuisable plaisir.
Chacun y cherche une phrase dans une autre phrase, un corps dans un autre corps. Le tout dans un exercice conjugué. Les alcôves deviennent le refuge contre la vie. La mort est parfois désir passionné de la vie. La pornographie donne enfin une chance de pouvoir s’isoler complètement du monde et même d’oublier la réalité. D’oublier, entre autres, que les nains sont les derniers à savoir qu’il pleut.
jean-paul gavard-perret
De la pornographie — coffret Livres d’images : Pierre Loüys, Hans Bellmer, Unica Zürn, Pierre Molinier. Livres de textes : Pierre Loüys, Paul Verlaine, Georges Bataille, André Hardellet, Editions Derrière la salle de bains, 2014, 25,00 €.