Shannon Burke, 911

Une chro­nique noire, très noire !

Joël Hous­sin, avec Les Vau­tours, avait décrit, en 1985, une caté­go­rie bien spé­ciale d’ambulanciers. Dans À tom­beau ouvert, Mar­tin Scor­sese avait mon­tré un autre aspect désta­bi­li­sant du métier. Shan­non Burke, se basant sur son expé­rience, revient avec un récit propre à décou­ra­ger toute vel­léité de voca­tion pour cette activité.

Ollie Cross débute son acti­vité d’ambulancier-urgentiste dans un des quar­tiers les plus dif­fi­ciles de New York, à savoir Har­lem. Il fait équipe avec Gene Rut­kovsky, un vété­ran qui a vingt ans de pra­tique der­rière lui. Ollie a choisi ce métier pour se for­ger une expé­rience. Il veut être méde­cin mais a raté, par deux fois, le concours. C’est la décou­verte d’une ter­rible réa­lité. Il est confronté aux bles­sures les plus diverses, aux choix à faire en quelques secondes, aux options dif­fi­ciles face à la souf­france, à la mort. En tant que “bleu”, pour ne pas être rejeté par cette petite com­mu­nauté, il doit faire la preuve qu’il est capable de s’adapter à cet uni­vers et de s’y inté­grer.
Peu à peu, dans la dou­leur, il acquiert les réflexes, maî­trise les gestes néces­saires pour por­ter les pre­miers secours. Il faut déci­der, en quelques secondes de la néces­sité de soins ou de leur inuti­lité. Mais, dans cet uni­vers d’horreur, de folie et de mort, com­ment gar­der son inté­grité, sa com­pas­sion, son altruisme ? L’équipe qu’il forme avec Rut­kovsky fonc­tionne bien, cha­cun connais­sant les réac­tions de l’autre, jusqu’au jour où tout bas­cule. Ollie va se trou­ver entraîné dans une spi­rale infernale…

Le livre de Shan­non Burke, paru en 2008 aux USA, porte pour titre Black Flies. 911, le titre retenu pour la tra­duc­tion fran­çaise cor­res­pond au numéro d’appel d’urgence en Amé­rique du Nord. L’auteur a été ambu­lan­cier à New York sans être placé, tou­te­fois, dans la situa­tion où il met son héros. Il dépeint l’intérieur de la cel­lule d’intervention la plus expo­sée aux vio­lences, les tâches que les infir­miers doivent accom­plir, les situa­tions aux­quelles ils se mesurent et décrit un envi­ron­ne­ment digne des Enfers de Dante et de Jérôme Bosch. C’est un récit qui relève à la fois du repor­tage social dans une zone très défa­vo­ri­sée, du docu­ment sur le fonc­tion­ne­ment d’une unité de soins d’urgence, d’un cata­logue quasi com­plet de la misère la plus noire, de la cri­mi­na­lité le plus sor­dide et d’un polar psy­cho­lo­gique retra­çant l’évolution d’un indi­vidu qui évo­lue dans un milieu de souf­france et de mort.
L’intrigue s’appuie sur­tout sur le che­mi­ne­ment d’Ollie, la modi­fi­ca­tion de son com­por­te­ment. Le roman­cier expli­cite par­fai­te­ment les méca­nismes de défense des indi­vi­dus pla­cés devant tant d’horreurs, le replie­ment sur soi, au sein d’un petit groupe qui par­tage le même quo­ti­dien indi­cible, inex­pli­cable, la cou­pure d’une vie fami­liale, d’une vie sociale. Face à une huma­nité aban­don­née, sans espoirs ni recours, ils sont per­çus comme les repré­sen­tants du sys­tème et, à ce titre, reje­tés. L’auteur évoque, par le biais d’un per­son­nage, le peu de retour que reçoivent ces infir­miers : “Dix-sept, dit-il. Dix-sept jours sans un remer­cie­ment. Je tiens le compte.”

Shan­non Burke avait déjà fait sen­sa­tion avec son pre­mier roman, Man­hat­tan Grand-Angle. Avec 911, il réci­dive et donne un livre-choc, une image sans fio­ri­ture de la condi­tion humaine. Remarquable !

serge per­raud

Shan­non Burke, 911, tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Deniz Gal­hos, Edi­tions Sona­tine, juin 2014, 208 p. – 16,00 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies, Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>