Céline Clanet et la source des horizons
La spatialité, toujours, nous échappe. Nous ne savons rien de son lieu et de ce qui s’y passe. Comment a-t-elle prise sur nous ? Comment l’atteignons-nous et comment nous touche-t-elle ? Nous ne résolvons jamais ces questions. Nous cessons d’en parler mais nous tournons autour. Ce qui s’y passe demeure fragile en dépit des apparences d’une nature qui paraît immuable. La recherche plastique, la vraie, renverse ces espaces, invente de nouveaux rapports à eux, de nouveaux contacts. Elle incarne ces questions, ce qui est mieux que croire y répondre. L’œuvre de Céline Clanet (ci-contre) repose ces interrogations en créant des images qui fouillent la présence à divers « signes » d’une vallée (presque) inconnue.
Surdouée, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, l’artiste effectue en 2000 un premier voyage au nord de la Suède. Scotchée par ces lieux, elle se rend régulièrement en Laponie pour photographier son territoire et ses populations. Sa série « Máze » — réalisée de 2005 à 2009 lui a valu le Critical Mass Book Award (USA). Subventionnée par la fondation FACIM, elle a quitté le Grand Nord pour retrouver sa Savoie natale. Native de Chambéry, elle ignorait tout pourtant de la vallée de haute altitude des Chapieux perdue entre la Tarentaise et le Mont Blanc. Pendant des siècles, seuls les paysans des montagnes et les militaires s’y sont aventurés. Céline Clanet a suivi tous ceux qui fréquentent encore le lieu : les bergers et leurs bêtes, les chasseurs, les grimpeurs et les skieurs. Pour sa part, Bruno Berthier rappelle l’histoire de la vallée.
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Ce travail s’apparente à celui d’une mue du paysage. Le dehors est réapproprié par l’artiste. Elle en devient — sans jamais se mettre en scène ou s’épancher– le cœur, la « mère » attentionnée. Chaque ” paysage ” devient un rhizome de sens tant il peut y avoir d’entrées. L’aire visuelle se transforme en « aître » d’une topologie de sens qui défie à la fois la représentation et le sens communs qu’on accorde aux lieux de la « tribu » où trop longtemps la femme ne faisait que passer les plats. Ici, grâce à la photographe, elle impose sa loi en faisant éclater les évangiles mais sans aucun « effet » ou théâtralité.
Céline Clanet chuchote des secrets à découvrir d’urgence. Ils nous font défaut mais notre œil les réclame. La créatrice fait passer d’un monde boîte à un monde oignon, en nous permettant de glisser du fermé à l’ouvert quand l’été est parfait. La vallée devient plus immense. Le soleil rend la terre à sa liberté et prolongent l’élan des neiges qui jusque là la cernaient.
jean-paul gavard-perret
Céline Clanet, Les Chapieux, géographie d’un secret, texte de Bruno Berthier et préface d’Hervé Gaymard, Fondation Facim et Actes Sud, avril 2014, 144 p. — 35,00 €.