L’histoire, déclinée en cinq parties chacune consacrée à un thème ou un moment précis, débute en 1912, dans le quartier pauvre de Williamsburg à Brooklyn. Francie Nolan a onze ans et elle partage sa vie avec son jeune frère Neeley et leurs parents Katie – qui récure et nettoie toute la sainte journée les appartements, faisant en quelque sorte office de concierge et femme de ménage pour offrir aux siens le modeste logement qu’ils occupent – et Johnny – qui œuvre comme « extra, à la fois garçon et chanteur, tantôt dans un établissement, tantôt dans l’autre. Autrement dit, il ne travaille pas souvent ». Car Johnny, pourtant « beau garçon, aimable, très supérieur à n’importe quel homme du voisinage », n’a pas que des qualités : « Malheureusement, il buvait. Voilà ce que disaient les gens. Et c’était vrai. » (p. 24)
La première partie du roman se concentre sur un samedi dans la vie de Francis (« Oh ! le beau jour que le samedi à Brooklyn ! »), alors qu’elle et son frère récoltent diverses babioles pour aller les vendre et amasser quelques sous. Dont une partie finira dans la tirelire qui contient tout le trésor de la famille. Car les Nolan, immigrés d’origine irlandaise, sont pauvres ; Katie peine à mettre un repas complet sur la table chaque jour, et pourtant ils sont heureux et unis. Même si une ombre pèse sur eux : dans la deuxième partie, un flash-back relatant la rencontre, la cour et les premiers temps du mariage entre Katie et Johnny, l’auteur annonce avec subtilité mais sans détour que ce dernier, contrairement à sa jeune et vigoureuse jeune femme, est d’une constitution faible et destiné à une mort prématurée.
Malgré toutes ses fautes, et sans doute grâce à sa fantaisie, c’est lui qui a la faveur de Francie, surtout quand il parvient à l’inscrire dans une nouvelle école où elle va s’épanouir et profiter pleinement de son goût de lire et d’apprendre. Car Katie a un rêve pour ses enfants : qu’ils fassent des études et jouissent d’une meilleure vie. Mais la mort de Johnny oblige la mère courage à faire un choix drastique et Francie doit travailler elle aussi. Les moyens financiers de ce qu’il reste de la famille s’en trouvent grandement améliorés et leur permettent pour la première fois de traverser le pont qui conduit à Manhattan, à une vie moins étriquée au-delà des limites de leur paroisse. Là, Francie connaîtra ses premiers émois et ses premières déceptions, mais surtout le moyen, grâce à une détermination au moins aussi ancrée que celle de sa mère, de mener son rêve jusqu’au bout.
Betty Smith connut un immense succès à la parution de ce beau roman (de 1943) que les éditions Belfond ont la bonne idée de remettre en haut de l’affiche. Immédiatement classé dans la catégorie des « romans d’apprentissage », il déclencha aussi quelques polémiques à l’époque, tant il rend vraies et vivantes les expériences traversées par cette petite fille tenace et attachante. C’est que l’auteur a été une fillette comme elle, qui a grandi à Brooklyn. Elle connaissait donc de l’intérieur les réalités de la vie de ces familles indigentes au début du XXème siècle, entre morts, faim, mesquineries et même haine. Malgré un contexte plutôt sombre, ce sont la tendresse et l’espoir qui servent de fils conducteurs au roman. Cet espoir symbolisé justement par l’arbre qui pousse dans la cour de leur immeuble, au milieu du béton et malgré la rudesse de l’environnement, tenace envers et contre tout, et qui donne son titre au livre.
Considéré au fil des ans comme un témoignage essentiel de la littérature américaine, Le Lys de Brooklyn est une histoire poignante, pleine de compassion et de cruauté, de rires et de peines, peuplée de personnages plus vrais que nature. Une œuvre témoignage qui nous laisse l’image unique d’une époque et d’un lieu, d’instants riches d’une expérience universelle.
agathe de lastyns
Betty Smith, Le Lys de Brooklyn, traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Beerblock, Belfond, coll Vintage, mars 2014, 720 p – 19,00 €