Quand il faut atténuer la réalité…
Les auteurs relatent une tragédie authentique même s’ils changent le nom du vaisseau et prennent des libertés pour l’adapter. Cette liberté porte, entre autres, sur les scènes de cruauté et de meurtres, mais pas dans le sens d’en rajouter, au contraire de les minimiser. Dans cette histoire incroyable, la réalité a dépassé, de loin, le présent récit.
Le 28 octobre 1628, commandé par Francisco Pelsaert, le Jakarta (Batavia), appartenant à la Compagnie hollandaises des Indes orientales — VOC — quitte les Provinces-Unies (Pays-Bas), pour l’île de Java. À bord, il y a la plus grosse quantité d’or jamais transportée par la VOC. Jéronimus Cornélius, apothicaire ruiné mais Subrécargue adjoint, fomente une mutinerie pour s’approprier ces richesses. Il met son plan à exécution et éloigne le bateau du reste de la flotte, bien que Lucrétia Hans et Hayes, le gabier, tentent de lui tenir tête.
C’est le 4 juin 1929 que le voilier arrive au large des îles Abrolhos et s’échoue sur des récifs près d’un îlot.
Pelsaert réussit à faire débarquer les marins et passagers dont Hayes et Lucrétia, ainsi que le trésor. Puis, avec un groupe de marins, il part avec la yole de secours en direction de Java chercher des secours. Sur l’îlot, Cornelius installe son autorité appuyée sur les mutins. Il prévoit de capturer tout navire leur venant en aide et de s’en servir pour créer une colonie qu’il tiendrait sous sa coupe.
Les ressources sont maigres. La seule eau est celle de la pluie et elle est rare. Il envisage froidement de diminuer la population. Entouré des mutins, il écarte ceux qui restent fidèles à la VOC et commence à faire tuer sous les motifs les plus divers. Seule Lucrétia va essayer de lui faire retrouver la raison, mais…
Ce récit est inspiré de l’histoire du Batavia, le navire réel dont une réplique peut se visiter dans le port de Lelystad, près d’Amsterdam. L’album contient quelques scènes violentes mais le niveau réel de barbarie et de sadisme n’est pas raconté par Xavier Dorison. Il retrace des situations horrifiques mais quelque peu édulcorées. On vous laisse imaginer ce qu’a pu être la vie sur ces îlots désertiques. Sur les 341 personnes embarquées à bord du Batavia, seules 122 arriveront à bon port.
Le graphisme époustouflant se partage entre le dessin assuré par Thimothée Montaigne et la mise en couleurs réalisée par Clara Tessier. Le premier offre des cases impressionnantes avec des trognes aussi vraies que nature, avec un détail des décors, des bateaux, des ustensiles et de ce qui reste du naufrage. Il dit aimer travailler les regards et il excelle à faire passer nombre de sentiments, d’émotions par eux. Il ose des découpages inventifs, variés et des planches pleine page saisissantes.
Clara Tessier travaille les ambiances et installe des marques à chaque séquence. Elle gère la lumière et les ombres avec brio donnant relief et profondeur. Les maquettes des pages liminaires et chapitres résultent de choix judicieux d’Anne-Cécile Pionnier.
L’éditeur propose un support exceptionnel pour ce diptyque avec un grand format, une couverture en relief portant des motifs dorés et autorise une longueur peu commune pour chaque tome.
Cette seconde partie est aussi remarquable de la précédente pour l’intrigue retravaillée de belle manière par Xavier Dorison et pour le graphisme spectaculaire du duo de créateurs d’images. Un beau cadeau à glisser sous un sapin.
serge perraud
Xavier Dorison (scénario), Thimothée Montaigne (dessins), Clara Tessier (couleur), 1629… ou l’effroyable histoire des naufragés du Jakarta — seconde partie : L’Île rouge, Glénat, coll. “Hors Collection”, novembre 2024, 136 p. — 35,00 €.