Il continue de déployer ses funestes talents…
La correspondance du chevalier de Saint-Sauveur, un malfaisant total, est découverte dans la cache sécrète d’un bureau. Les lettres révèlent comment cet ignoble libertin a perdu une jeune aristocrate en la personne d’Eunice de Clairfond. Huit ans plus tard, criblé de dettes, menacé de mort par ceux à qui il a causé du tort, ne pouvant s’introduire durablement à la cour de Versailles, il est contraint à l’exil vers la Nouvelle-France.
Il part avec Adario, un Iroquois et Gonzague, son valet. Une lettre du comte de Mirepoix, lui donne l’espoir d’un retour en grâce. Il doit faire en sorte de flétrir l’honneur d’une famille que ledit comte déteste pour des raisons de position sociale. Saint-Sauveur doit amener Aimée d’Archambaud à s’éprendre d’un Iroquois jusqu’à l’épouser. L’opprobre tombera alors sur cette infâme maison et les dettes de Saint-Sauveur seront effacées.
Sur le navire qui emmène tout ce petit monde vers de nouvelles terres, il commence à œuvrer de façon pernicieuse. Il veut rapprocher Aimée d’Adario. Pour vaincre les différences de rangs, il lui invente un statut de prince en exil. Mais, si les mensonges éhontés semblent porter ses fruits, cela se fait dans la douleur. Saint-Sauveur doit quitter ses bas de soie, s’enfoncer dans les immenses forêts où le danger est permanent…
Le récit conjugue deux formes narratives. Une partie épistolaire et une partie dialogues entre les protagonistes de toutes natures. Si, pour la première, le langage est châtié, les formules employées sont travaillées, pour la seconde, la liberté est de mise et les acteurs peuvent exprimer leurs opinions, sentiments, émotions, ressentiments et amour avec familiarité.
Le thème de ce tome reste un peu similaire au précédent volume dans la mesure où il s’agit de faire perdre, pour des raisons cupides, l’honneur d’une jeune demoiselle. Mais les péripéties et le cadre sont bien différents. Loin du faste de Versailles, les personnages sont amenés à vivre d’une manière plus adaptée à la nature sauvage et celle du Canada, à cette époque, devait être quasiment vierge.
Le scénariste présente les diverses peuplades qui occupent ces territoires, les relations plus ou moins conflictuelles qu’elles entretiennent entre elles et avec ces nouveaux venus que sont les Européens. La proximité inquiétante des Anglais qui poursuivent leur mainmise sur la planète n’est pas à négliger.
Les dessins et couleurs de Richard Guérineau inscrivent une belle réalité historique. Avec une économie de traits, il sait rendre palpables les mouvements et sentiments des personnages et joue avec les teintes pour installer des profondeurs. Il donne une belle image des décors, que ce soit ceux du royaume de France ou en Nouvelle-France, des vues superbes des paysages québécois.
Une suite est annoncée sous le titre “Le Démon des Grands Lacs”, annonce qui ne peut que réjouir tous ceux, et ils sont nombreux, qui apprécient à sa juste valeur cette trilogie. Autre bonne nouvelle, l’éditeur fait part d’une suite à cette série composée de récits complets. La félonie de Saint-Sauveur est-elle intarissable ?
Un bel album dans tous les sens du terme, entre un scénario inventif, un graphisme remarquable et une présentation qui met en valeur le tout.
serge perraud
Alain Ayroles (scénario) & Richard Guérineau (dessin et couleur), L’Ombre des Lumières — t.02 : Dentelles et Wampum, Delcourt, coll. “Hors Collection”, octobre 2024, 72 p. — 22,95 €.