Passage en Rhénanie est une merveille de justesse, de regard et de poésie brute dans un jeu subtil de déséquilibre entre deux existences (Togo et Allemagne) pour l’auteure qui remonte une expérience intime où le paysage rhénan n’est jamais réduit à une photographie étriquée voire touristique.
Bien qu’en le ponctuant Jacqueline Merville écrit sa respiration, rompue et libre, mentale et proche des ressorts d’un inconscient qui trouve en une suite de lieux une série de correspondances baudelairiennes.
Cette respiration étriquée permet d’effacer et d’ouvrir ce qu’elle a vécu sous forme d’apprentissage, parfois forcé parfois actif. Dans le contexte de sa vie, ce « Passage » comme son nom l’indique est une traversée. Le tout dans une façon de percevoir la sensibilité et l’intellect indissolublement liés. Ce qui ne peut se réduire à la seule compréhension et s’adresse autant à une personne qu’à l’ensemble des femmes auquel elle appartient.
Ce mode de perception tire sa force et sa faiblesse sans être obligeamment balisé par des catégories utilitaristes et des lieux (usines Henkel, Bayer Leverkusen) qui ouvrent et découvrent ce qui rapproche la propre psyché de l’auteure de son vécu d’hier et d’aujourd’hui étendu plus largement qu’à sa personne. Existent de nombreux lieux des apparats économiques. Etres et objets demeurent étrangers, violeurs ou grabataires mais aussi des invitations à l’existence et au courage pour se réapparaître même où rôdent des souffrances et douleurs d’ici et d’hier en de divers passés.
Ce passage devient un consentement à soi-même. Nul égarement romantique bien au contraire. La vérité est crue et redonne son dans une langue de sensations. L’ange se réveille en oubliant les brûlures de cigarettes des monstres. Et beaucoup de femmes aussi se souviennent des salauds. Un tel livre permet de retrouver pour l’auteure ce qui n’a pas cessé d’être –tel un papillon aux ailes déchiquetées. Mais l’écriture est une inconnue apprivoisable qui étouffe le désespoir. Des pages s’éclairent jusque dans le silence des mères.
La précision du langage touche par un don d’exactitude, un caractère aigu de l’expression. Se dessinent les contours nets, la ligne très précise du destin. S’agit-il du langage poétique ? – Oui, mais il n’a rien de vague, Il est construit dans le cerveau et la sensibilité bien mise au point par une conception préalable de temporalité. Probablement, il n’a pas besoin d’un plan initial, là où se mêlent intentions et impulsions. Un tel langage est premier dans la reconstruction qu’il invente au fil du désordre d’un « passage » qui retrouve son unité.
jean-paul gavard-perret
Jacqueline Merville, Passage en Rhénanie, des femmes, Editions Antoinette Fouque, Paris, 2024, 64 p. — 12,00 €.