Dans ce récit de Haenel, les femmes de Bonnard n’attendent personne. Pas question de se laisser faire par ceux qui voudraient leur ouvrir le cœur et leur faire la peau. Elles ne leur donnent jamais la clé de leur secret. Indifférentes mais charmeuses, elles restent sur la foi de rêves trop beaux pour être vrais. De leurs hanches, leur poitrine ou leur tronc coulent des myriades d’images. Restent les longues partitions des allées de leurs jambes. D’invisibles courants les relient en face de soi et hors de soi.
Bonnard les saisit en fragments. Il souligne l’éveil par les voluptés qu’elle suscite dans des clapotis de nacre qui creusent une profonde entaille de noir. Dans la célébration des jeux de plis ou d’arabesques, les épures et anacoluthes sont enfin réconciliées. Elles créent une insondable profondeur de vie par effet de surface. Sortant du cadre tout en y demeurant, les femmes semblent en suspension à la fois dans le ciel mais aussi dans le jeu qu’elles induisent entre le vu et le caché, la vérité et mensonge.
Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible de telles femmes. Pierre Bonnard s’est immergé quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et créant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, leur soif, leur liberté entêtante. Elles étincellent.
jean-paul gavard-perret
Yannick Haenel, Pierre Bonnard. Le feu des solitudes charnelles, L’atelier contemporain, Strasbourg, 2024, 48 p. — 8,00 €.