Benjamin Stevenson, Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un

Un roman poli­cier brillam­ment singulier 

Si le titre est déjà accro­cheur et intri­gant, le dérou­le­ment de l’enquête est une suite de péri­pé­ties toutes plus éton­nantes, déjan­tées. C’est un récit ori­gi­nal, décalé, auquel le roman­cier nous convie.

Le per­son­nage prin­ci­pal, le nar­ra­teur, Ernest Cun­nin­gham, dit Ern, est un écri­vain qui fait par­tie d’une famille dont la répu­ta­tion est sul­fu­reuse, enta­chée de méfiance, de honte, de rejet de la société. Ce sont les Cun­nin­gham !
Tout com­mence quand Michael, son frère aîné, vient trou­ver Ern, en fin de nuit, avec sa voi­ture à l’aile cabos­sée et un corps sur le siège arrière. Il veut son aide pour se débar­ras­ser du cadavre, un homme qu’il a heurté mais qui avait déjà reçu une balle, explique-t-il. Dans une clai­rière, alors qu’ils creusent, Ern voit bou­ger le corps. Michael va vers lui, reste quelques temps à coté et revient en disant qu’il a juste arrêté de respirer.

On retrouve Ern mau­dis­sant sa tante qui a tenu à réunir toute la famille dans la plus haute sta­tion de mon­tagne d’Australie. Il angoisse à l’idée de retrou­ver ses proches qu’il n’a pas vus depuis trois ans. Retrou­ver sa mère, son beau-père, sa tante et son mari, son ex-épouse et celle de son frère, sa belle-sœur l’effraie. Il a peur car il a dénoncé son frère, témoi­gné contre lui au tri­bu­nal, l’envoyant en pri­son. Il est devenu le paria de la famille. Seule, Sofia, la fille de son beau-père, une chi­rur­gienne, a gardé des liens étant un élé­ment fami­lial rap­porté. Mais quand on lui annonce…

Avec un type de nar­ra­tion peu cou­rant, mul­ti­pliant les apar­tés, les paren­thèses, les retours en arrière pour expli­ci­ter des situa­tions, des faits, Ben­ja­min Ste­ven­son réa­lise un ovni en matière de roman poli­cier. Il pré­sente son récit comme un témoi­gnage, celui d’Ern par qui passe tout le récit. Il raconte ce qu’il voit, jurant au lec­teur de lui dire toute la vérité, enfin ce dont il est témoin. Il décrit ses rela­tions avec les dif­fé­rents membres de sa famille, les liens entre­te­nus entre eux, avec lui et, peu à peu, remonte dans le passé pour expli­ci­ter le pré­sent jusqu’à un dénoue­ment abso­lu­ment impré­vi­sible. C’est drôle, cocasse, bourré d’humour — que celui-ci serve des situa­tions, des réflexions, des dialogues.

Si les coups de théâtre et retour­ne­ments sont légion, les morts s’empilent au fur et à mesure que l’on avance dans l’intrigue. Et celle-ci est déli­cieu­se­ment tor­tueuse. L’auteur use d’un sup­plice qui se pra­ti­quait en Perse, met en scène un tueur en série que la presse a sur­nommé La Langue Noire, fait voya­ger un pac­tole de 267 000 dol­lars. Il énu­mère, dès le départ, pour les lec­teurs impa­tients de décou­vrir les détails san­glants, les pages ou ceux-ci pour­ront trou­ver les décès.
Il reprend les dix com­man­de­ments pour l’écriture d’un roman poli­cier édic­tés par Ronald Knox en 1929, et revient régu­liè­re­ment vers cette réfé­rence, com­pa­rant ce qu’il raconte avec une ou plu­sieurs de ces règles. Ronald Knox est un roman­cier anglais, par ailleurs prêtre angli­can, membre, dès sa fon­da­tion en 1930, du Detec­tion Club où l’on trou­vait Aga­tha Chris­tie, Doro­thy L. Sayers…

Un roman qui offre une lec­ture jubi­la­toire, tant l’humour et les déca­lages sont par­tie pre­nante et servent une intrigue de haut niveau.

serge per­raud

Ben­ja­min Ste­ven­son, Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un (Eve­ryone in My Family Has Killed Semeone), tra­duit de l’anglais (Aus­tra­lie) par Cindy Colin-Kapen, Édi­tions 10/18 n° 5968, coll. “Polar”, juin 2024, 480 p. — 9,60 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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