McCarthy a peu écrit, une douzaine de romans, miroirs peu amènes de la population des USA, ce qui lui a valu de manger de la vache enragée pendant plus de trente ans avant le succès. C’est en 2006, qu’il fait paraître The Road. Ce livre au thème post-apocalyptique se taille un succès planétaire, vendu à plus de deux millions et demi d’exemplaires. Il reçoit, en 2007, le prix Pulitzer de la fiction.
Après la prouesse, à la fois sur le contenu et sur le graphisme, de Manu Larcenet pour ses trois albums Thérapie de groupe, ce dernier a souhaité renouer avec une adaptation, exercice qu’il maîtrise également. Il n’en faut pour preuve que de lire et voir Le Rapport de Brodeck, d’après Philippe Claudel.
Mais, adapter un roman tel que La Route représente une belle gageure. Ce livre met en scène deux personnages, un père et son fils, qui avancent dans des paysages couverts de cendres et de poussières. On ne sait pas d’où ils viennent. Ils vont vers le sud pour espérer échapper au froid. Leurs préoccupations tournent autour de la nourriture, trouver à manger dans ce monde dévasté et se mettre à l’abri de tous les dangers, y compris l’atmosphère glacée. Leur périple est dominé par la peur, la violence, la détresse qu’ils peuvent trouver dans le peu d’humains qu’ils croisent sans les mettre en danger.
Manu Larcenet a voulu éviter les narratifs, remplaçant les mots par des traits, employant surtout entre les deux protagonistes des échanges de regards, quelques dialogues allant à l’essentiel. Bien qu’ils croisent la barbarie, le père essaie d’inculquer à son fils quelques notions d’humanité. Quand ce dernier voit avec effroi des restes de cannibalisme, son père lui promet qu’ils n’arriveront jamais à cette extrémité. Mais, quand on leur vole le caddy avec tous leurs effets, leur réserve de nourriture…
Larcenet réussit à merveille à faire ressentir les émotions, éprouver les sensations de ces deux individus errant dans ce monde anéanti. La civilisation a disparu et la loi du plus fort, de ceux qui sont plus nombreux, s’applique de façon encore plus brutale. Il rend palpable cette lutte pour la survie, pour trouver un abri pour la nuit, pour se protéger du froid, pour disposer d’un peu de nourriture. Mais, ce qu’il met en avant est le lien qui unit ce père et son fils, un attachement fort, presque animal. C’est aussi le sentiment de peur, du danger qui rôde et peut surgir à tout moment, l’épuisement, la présence constante de la mort, de la destruction.
Que dire du graphisme, sinon que l’auteur atteint des sommets de maîtrise pour mettre en images ces situations. Il joue avec les ombres et une lumière chiche, les nuages lourds, noirs, la cendre, les ruines de toutes natures, le blizzard, les conditions climatiques désastreuses. En plus du noir et blanc, il met en œuvre des gammes de gris, des silhouettes, des décors d’une puissance négative si dure. Avec une méticulosité dans les traits, dans les hachures qui scandent le mouvement, dans les objets représentés, il propose des descriptions poignantes, n’hésitant pas à montrer la réalité.
Il glisse un joli clin d’œil à un maître, en l’occurrence Sempé, dont il place un ouvrage à la couverture illustrée par des oiseaux, ces animaux que le garçon n’a jamais vus.
Qualifier cet album de chef-d’œuvre d’adaptation et graphique, n’est-ce pas un peu exagéré ? Mais quand il faut nommer les choses par leur véritable nom, employons-le !!!
serge perraud
Manu Larcenet, d’après l’œuvre de Cormac McCarthy, La Route, Dargaud, mars 2024, 160 p. — 28,50 €.